Sachant l’impact que la fidélité ou l’infidélité amoureuse peut avoir sur le couple, ne serait-il pas intéressant de se poser des questions profondes sur ce concept (car c’en est un). Quelle est la raison d’être de la fidélité telle qu’on la définie habituellement ? Est-elle vraiment une qualité, ou plus encore une preuve d’amour ? Au contraire, ne se peut-il pas, après analyse, qu’elle ne soit finalement qu’une des plus belles escroqueries de l’amour ? Ne devrait-on reconcevoir la fidélité, ne pourrait-il y avoir une définition alternative qui soit plus en adéquation avec l’amour vrai ?


Note liminaire : Afin d'éviter les quiproquos et parce que le sens de "fidélité" en général est très différent de "fidélité" au sens conjugal, lorsque j’utiliserai le mot "fidélité" il devra être compris dans son acception originelle, c’est à dire "non sexuelle" et pour bien le différencier du sens "conjugal", dans les cas où il pourrait y avoir confusion, j'utiliserai au choix les termes "fidélité sexuelle", "fidélité amoureuse" ou "fidélité conjugale".


I - QU’EST-CE QUE LA FIDÉLITÉ ?

Étymologiquement, du latin "Fidelis", mot composé de "Fides", (foi, confiance) auquel est ajouté le suffixe -lis, le sens latin de ce mot est : "en qui on croit", "loyal", "sincère", "qui inspire ou qui est digne de confiance". Il peut aussi vouloir dire "amical, affectueux" ou encore "solide, sûr, sur lequel on peut s’appuyer, se reposer".

De nos jours, bien qu’un peu galvaudé, le sens de l’adjectif "fidèle" est sensiblement resté le même. On le trouve aussi bien

- pour parler de foi :
les fidèles étant les personnes qui ont la foi dans un culte, les non-croyants étant alors eux considérés comme des infidèles.
- pour parler de loyauté envers une personne, à une chose ou à une valeur : Un ami fidèle, un client fidèle à une marque, être fidèle à un parti politique ou à des valeurs.
- par glissement, au fil du temps, une acception supplémentaire est venue se greffer ; celle de "semblable", "identique" à un modèle: Une reproduction fidèle, un son Haute-Fidélité.

Dérivé de l’adjectif ou du nom "fidèle", le mot "fidélité" reprend les multiples sens de fidèle sauf dans le cas de la fidélité conjugale. Et c’est justement là que le bas blesse.

1 - Définition de la fidélité conjugale/sexuelle

Elle ne reprend pratiquement aucun des sens d’origine du mot Fidélité mais en emprunte un nouveau : Unicité de partenaire sexuel. Situation dans lequel son conjoint, amant ou concubin est par voeux ou par contrat le seul partenaire de sa vie sexuelle.

La fidélité conjugale étant carrément une obligation dans la plupart des religions et l’infidélité une faute pénale en France jusqu’en 1975 (c’est aujourd’hui une faute civile). La fidélité reste une exigence du mariage (art 212 du code civil : "les époux se doivent mutuellement fidélité").

Je reviendrai à cette définition dans le prochain chapitre, mais elle donne déjà bien le ton : devoir et obligation

2 - Histoire / raison d’être

Pourquoi toutes les religions prônent-elle la fidélité ? Pourquoi la plupart des civilisations ont-elles toujours considérées la violation du devoir de fidélité, l’adultère, comme répréhensible ?

La raison est assez logique (même si comme souvent, ce qui vaut pour le passé, n’a plus forcément de raison d’être dans le présent) mais surtout, comme vous allez le voir, n’a absolument rien à voir avec l’amour.

Dans les temps pas si reculés où les moyens de contraceptions n’existaient pas ou étaient rudimentaires (donc souvent inefficaces), autant une femme ne pouvait être autre que la mère de l’enfant qu’elle portait (ce qui n’est plus le cas aujourd’hui avec les mères porteuses), autant la paternité était plus incertaine. En conséquence, le seul moyen qu'avait un homme de s’assurer que sa descendance serait bien de lui était d'avoir la certitude qu’il serait bien le seul à pouvoir mettre sa femme enceinte. En bref, demeurer son partenaire sexuel exclusif, puisque relation sexuelle était obligatoirement synonyme d’enfantement.

Même si pour la femme la question de la maternité ne se posait pas, le problème de la capacité à combler les besoins matériels de la famille était bien réel. Avoir la garantie que le père n’irait pas faire d’enfants ailleurs, assurait à la femme le bénéfice de toutes les ressources de son homme pour élever leurs enfants.

En bref, la fidélité était essentielle à la pérennité de l’espèce pour des raisons purement basiques, logiques et matérielles. L’homme assurait ainsi sa descendance et la femme sa subsistance ainsi que celle de sa progéniture.

Nous voyons bien aujourd’hui que la fidélité sexuelle pour de tels motifs n’a plus aucune raison d’être et d’ailleurs, si l’on interroge des gens autour de nous pour connaître les raisons qui les poussent à préférer un partenaire fidèle, je doute que beaucoup répondent : "pour être sur qu’elle ne va pas se faire mettre enceinte par quelqu'un d'autre" ou "parce que je crains qu’il ne puisse plus assumer matériellement ma subsistance et celle de nos enfants". Vive l’indépendance des femmes et la pilule !!!

Mais trêve de plaisanteries, une question fondamentale se pose alors. Quelles raisons valables peuvent aujourd’hui justifier la fidélité sexuelle et condamner l’infidélité ?

La réponse systématique de tous, réponse quasi réflexe et instinctive (c’est dire à quel point peu se sont réellement posés la question) est :

Parce que "Fidélité rime avec Amour". "Quand on aime vraiment on ne trompe pas" ou encore "si on aime quelqu’un, on n’a pas envie d’aller voir ailleurs".

Foutaises !!!! (mais je m’en expliquerai au prochain chapitre)

Ce qui est certains c'est qu’on a fini par prendre un raccourci (totalement illégitime qui plus est) en associant fidélité sexuelle et amour, oubliant complètement du même coup, qu’au départ, cette obligation de fidélité n’était en rien en rapport avec des questions sentimentales.

Pour le plaisir de digresser (j’aime ça de temps en temps) voici quelques exemples du même genre et puis je reviendrai au sujet qui nous occupe :-)

On ne se sert pas la main juste par politesse ou pour se montrer amical. A l’origine on se serrait la main (ou l’avant-bras) pour se prouver mutuellement qu’on n'y dissimulait pas une arme blanche (ou chez les romains, une dague cachée dans un étui placé sur l’avant-bras).

On ne trinque pas juste par convention pour célébrer quelque chose. Au moyen-âge, lorsque l’empoisonnement était monnaie courante et que les récipients étaient fait de métal (ne risquant donc pas de se briser sous un choc), on choquait le "verre" de l’autre afin qu’un peu du contenu de notre propre verre se retrouve mélangé à celui de son hôte. De cette façon, s'il avait tenté de vous empoisonner en mettant quelque chose dans votre boisson, il ne voudrait plus trinquer avec vous, ce qui serait un signal d’alarme. Donc, à l’origine, trinquer était une question de prudence élémentaire et non de politesse.

Un petit dernier "pour la route". Lorsqu’on baille, on ne met pas sa main devant la bouche pour éviter de transmettre un germe (ce qui est le cas lorsqu’on tousse ou que l’on éternue) puisque le bâillement n’est qu’une forme de respiration particulière, il ne projette rien. L’origine vient de très anciennes superstitions qui voulaient que le diable puisse entrer par la bouche lorsqu’elle est grande ouverte. Donc en plaçant sa main devant on empêche "le malin" d’y pénétrer. D'ailleurs, de nos jours encore dans les pays slaves, on continu à se signer (faire le signe de croix de la main) après avoir baillé.

Il y a comme cela des actes dont les origines sont tellement lointaines qu’on en a oublié les raisons originelles mais conservé l’acte par habitude (coutume). Et quand ils n’ont plus lieu d’être, pour les justifier, on a fini par inventer une autre raison qui n’a souvent alors plus aucun rapport et qu'une lointaine logique. C'est précisément le cas avec la fidélité.


II - EN QUOI LA FIDÉLITÉ SERAIT-ELLE UNE PREUVE D’AMOUR ?

A présent que nous avons dégrossi le terrain, abordons la question du sens que l'on donne à la fidélité aujourd'hui. Commençons par la fidélité au sens non sexuel.

Dans toute idée de fidélité (que ce soit à un ami, un partenaire professionnel, des valeurs morales, politiques ou religieuses) il y a toujours la notion sous-jacente d’engagement. C’est la rupture de cet engagement qui défini l’infidélité. Lorsqu’il s’agit d’un engagement envers quelqu’un, tout réside donc alors sur la confiance, la foi qu’on a en l’autre, le fameux "fides" latin. Lorsque cet engagement pris est brisé, c’est une trahison de la confiance qui a été accordée par celui ou celle auprès de qui on s’était engagé.

Je suis un client fidèle, je sous-entends par là que je n’achèterai que les produits de ce magasin ou de cette marque. Si je vais acheter ailleurs, je romps cet engagement, et me retrouve donc "infidèle". Je suis membre d’un parti politique, fidèle à mes idées, je me suis donc engagé à suivre sa ligne politique, défendre ses valeurs et voter pour ses représentants. Dès lors que je vote pour ceux d'un autre parti, que je dénonce ses idées, je romps mon engagement et/ou trahis mon camp politique.

Tout engagement implique donc bien une obligation, celle de respecter cet engagement. (plus de détails à ce sujet dans le billet intitulé "Existe-t-il un amour garanti sans risque ? Question de confiance")

Pour revenir à la question du couple, si je promets à mon conjoint de n’avoir que lui (ou elle) pour partenaire sexuel, je m’engage donc à quelque chose de concret sur lequel repose dès lors sa confiance. Si je trahis cette confiance en allant coucher ailleurs, ça n'est pas à mon partenaire que je suis infidèle mais d'abord à mon engagement. Ça n'est pas non plus mon partenaire que je trompe en réalité mais seulement sa confiance (je ne cherche pas ici à jouer sur les mots mais à aller jusqu'au bout d'un raisonnement logique).

La fidélité amoureuse n’est, in fine, que le respect de son engagement à la contrainte suivante : exclure de sa vie sexuelle tout objet autre que son partenaire ou, énoncé autrement, c'est l’obligation de n’avoir comme objet sexuel unique que son partenaire. Notons ici que la notion de désir est absente de l'équation.

Peut-on bien m’expliquer en quoi contraintes et obligations sont des preuves d’amour ?

Veut-on que l’autre ne devienne votre unique objet de désir sexuel que par contrainte, par parole donnée, par obligation morale, civile ou religieuse plutôt que par désir réel et par envie, autrement dit, par amour ?

Alors bien sûr, on me rétorquera que les deux ne sont pas incompatibles et il est certain que le désir sexuel mono-objectivé et l’amour vrai coexistent un certain temps mais qu’en est-il le jour où ce désir sexuel décroît même si les sentiments sont intacts (lire à ce sujet "Partenaire sexuel unique ad vitam eternam, modèle réaliste ou fantaisiste ?")? Qu’en est-il le jour où ne subsistent plus ni désir ni sentiments ?

Si l’autre est fidèle à sa parole, qu’il n’a aucune relation sexuelle hors couple, ce qu’il prouve n'est rien d'autre que sa capacité à respecter cet engagement. C’est bien, mais cela ne prouve absolument pas son amour car il existe dans la vie bien d’autres raisons que l’amour pour vous pousser à respecter vos engagements (raisons personnelles, morales, légales, religieuses, politiques...)

Si la fidélité sexuelle était vraiment basée sur l’amour, c’est à dire sur le désir exclusif à l’autre, alors la pensée même de désirer physiquement un tiers (même en dehors de tout passage à l'acte) ne devrait-elle pas déjà être considérée comme un adultère ? Le passage à l'acte n’ayant aucune importance en lui-même car, qu’on y cède ou pas, la pulsion qui le motive est déjà adultérine. L’adultère n’est alors "qu’affectif" mais l’amour n’est-il pas qu’affect ?

L’aptitude à honorer la parole donnée est certes une grande qualité mais n’est en rien une preuve d’amour.

On érige la fidélité sexuelle en baromètre de l’amour, mais c’est une hérésie car tout démontre le contraire.
Je peux parfaitement ne plus être amoureux et pourtant demeurer fidèle sexuellement, dès lors, où trouve-t-on un lien entre amour et fidélité ? Le plus désarmant c’est qu’une majorité de femmes affirment qu'à choisir, elles préfèrent les hommes fidèles sans désir aux hommes qui les désirent sexuellement mais infidèles.

Dans l’étude que j’ai mentionnée au début de ce billet (Harris Interactive, juillet 2011), on apprend qu’à choisir, une écrasante majorité de femmes (85 % !!!) préfèrent un homme peu actif sexuellement mais fidèle (c’est à dire qui a clairement peu ou plus de désir pour elles) à un homme actif mais volage. (à 90% chez les 25-34 ans)

Ce chiffre est consternant en ce qu'il démontre que pour les femmes, un homme fidèle qui n’a plus de désir pour elles et qui fait une croix sur sa sexualité (puisqu’il ne va pas voir ailleurs non plus) a plus de valeur à leurs yeux qu’un homme qui a du désir pour elles même s’il est capable d’en désirer d’autres.

Un homme qui ne "trompe pas" est juste capable de se faire violence, est-ce pour autant qu’il n’en a pas envie ? Le fait de se faire violence ne prouve pas qu’on aime sa femme. Ça l'est d’autant moins si on n’a plus envie d’elle sexuellement !

Celui qui désire sexuellement sa femme, même s’il n’a pas la force ou l’envie de refréner ses désirs pour une autre en même temps, a au moins le mérite de l’aimer suffisamment pour la désirer encore.


2 - Quelles sont les véritables raisons qui nous poussent à la fidélité ?

Est-on fidèle sexuellement parce qu'on ne désire personne d'autre (ce qui serait alors de l'ordre de l'amour selon beaucoup) ou bien simplement parce qu'à un moment donné on s'y est engagé (ce qui serait alors de l'ordre de la morale) ?

A ce sujet je reprends la traduction que j’avais faite pour un précédent billet, celle d’une scène de l'ultime chef d’oeuvre de Stanley Kubrick adapté de la nouvelle de l'écrivain Autrichien Arthur Schnitzler "Eyes Wide Shut" et qui ne traite que de cela .

Pour ceux qui n’auraient pas vu ce film extraordinaire, laissez-moi replacer cette scène dans son contexte avec un rapide résumé de ce qui la précède.

Bill et Alice forment un couple new-yorkais très fortuné. Lui est médecin, elle, dirige plus ou moins une galerie d'art. Mariés depuis neuf ans, ils ont une petite fille de sept ans, Héléna. La nuit suivant une réception chez un de leurs amis, Ziegler, où Bill a discuté un bon moment avec deux sublimes mannequins qui lui ont proposé un plan à trois qu’il a refusé et où Alice a dansé puis éconduit un bel homme qui lui a clairement fait une proposition, de retour de la soirée, une fois chez eux, Alice et Bill ont une discussion dans leur chambre (Alice, en petite tenue, fume un joint par terre et plane un peu, Bill en caleçon sur le lit).

------------------------------- EXTRAIT ----------------------------------------

ALICE : Dis moi quelque chose... Ces deux filles... à la soirée tout à l’heure...
            Aurais-tu, à tout hasard, baisé avec elles ?

BILL : Quoi ? De quoi tu parles ?

ALICE : Je parle des deux nanas que tu draguais de façon si ostensible.

BILL : Je ne draguais personne.

ALICE : Qui sont-elles ?

BILL : Juste deux mannequins.

ALICE : Et où as-tu disparu avec elles pendant si longtemps ?

BILL : Attends une minute. Je n’ai disparu avec personne,
          Ziegler ne se sentait pas bien et on m’a appelé à l’étage pour le voir.
          Bref ! Et toi, qui était le type avec qui tu dansais ?

ALICE : Un ami des Ziegler.

BILL : Que te voulait-il ?

ALICE : du sexe... à l’étage... Par-ci, par là.

BILL : Rien que ça ?

ALICE : Ouais, rien que ça !

BILL : Il voulait juste sauter ma femme.

ALICE : Exactement.

BILL : Et bien quelque part ça se comprend.

ALICE : Ça se comprend ?

BILL : Parce que tu es une... très belle femme.

ALICE : Attends !
            Parce que je suis une très belle femme...
            la seule raison pour laquelle les hommes voudraient me parler...
            c’est par envie de me sauter. C’est ce que tu dis ?

BILL : Bon, je ne crois pas que ce soit aussi noir ou blanc...
          mais je pense que nous savons tous les deux
          comment les hommes fonctionnent.

ALICE : Alors, si je suis ton raisonnement...
            je devrais conclure que tu voulais baiser avec ces deux mannequins.

BILL : Il y a des exceptions.

ALICE : Et qu’est-ce qui fait de toi une exception ?

BILL : Ce qui fait de moi une exception c’est que...
          il se trouve que je suis amoureux de toi. Et que nous sommes mariés...
          et parce que je ne te mentirai jamais... ou ne te blesserai jamais.

ALICE : Est-ce que tu réalises que tu es en train de me dire...
            que la seule raison pour laquelle tu ne baiserais pas ces deux nanas...
            c’est par considération pour moi ?
            Pas parce que tu n’en n’as pas envie.

BILL : Calmons nous, Alice. Ce pétard te rend agressive.

ALICE : Non! C’est pas le pétard. C’est toi!

Dans la suite de cette dispute, Alice avouera à Bill que quelques années auparavant, elle a failli le quitter lui, sa fille, leur avenir conjugal, pour un bel officier de marine qu'elle a croisé une seule fois, à qui elle n'a jamais adressé la parole mais sur lequel, le temps d'une soirée, elle avait fantasmé sexuellement.
------------------------------------------------------------------------

Je trouve ce dialogue particulièrement pertinent par rapport au sujet qui nous occupe car très réaliste. Il met en avant un des paradoxes fondamentaux de l’amour opposé au désir ainsi que la perversité du concept de fidélité opposé à l'amour.

Cette scène démontre avec brio que les raisons qui nous poussent à l'exclusivité sexuelle n'ont rien à voir avec un désir qu'on éprouverait exclusivement et à jamais pour le partenaire dont on est amoureux mais plutôt pour des raisons éthiques et morales.

L’homme aimant explique, sans même s’en rendre compte (mais la femme, s’en rend compte, visiblement), que ce qui le fait ne désirer QUE sa femme n’est pas du à l’existence d’un désir "mono-objectivé" ou exclusif mais seulement à la considération qu’il a pour sa partenaire et à l'engagement qu'il a pris envers elle de lui être à jamais fidèle.

Il admet malgré lui que la raison essentielle qui le pousse à la "fidélité" n’est pas un amour sous-tendu par un désir sexuel hypothétiquement exclusif mais uniquement, dans le meilleur des cas, par le respect de son engagement (définition même de la fidélité au sens premier du terme), la peur de blesser l’autre s’il l’apprend, et dans le pire, par la morale et l’interdit. Au final, tout ce qui le retient d’aller voir ailleurs n’est pas l’absence d’envie mais le respect des principes inhérents à la vie conjugale telle qu’elle est définie dans nos sociétés : Union conjugale = unicité de partenaire, exclusivité affective et sexuelle, etc....

Comme j’en ai longuement disserté dans mon billet sur la dissociabilité de l’amour et du désir sexuel, on peut parfaitement aimer quelqu’un et, dans le même temps, éprouver de l'attraction, ressentir un désir sexuel pour un autre partenaire sans forcément aimer ce dernier.

Dans ces conditions, on peut se demander quelle est la valeur de l'exclusivité sexuelle, si finalement elle ne serait pas feinte ? Si on n'est pas fidèle "naturellement" mais seulement parce qu’on se fait violence pour éviter de "déraper" peut-on appeler ça de la fidélité ? Le simple fait de fantasmer, d'éprouver de l'attirance, du désir pour quelqu'un d'autre, sans forcément passer à l'acte, n'est-il pas déjà une sorte "d'infidélité non consommée" ?

D’ailleurs, bien que n’étant pas vraiment versé dans la religion, il est très intéressant de noter que cette idée n'est pas neuve puisqu'on en trouve déjà la trace dans les évangiles. Selon Mathieu, chapitre 5, verset 28 : "Mais moi je vous dis que quiconque regarde une femme pour la convoiter a déjà commis un adultère avec elle dans son coeur."

Affirmer : "Puisqu’il ne va pas voir ailleurs c’est donc bien qu’il ne désire que moi, conclusion --> il m’aime" ou encore "Puisqu’il ne va pas voir ailleurs c’est donc qu'il respecte ce à quoi il s'est engagé par amour, conclusion --> il m’aime" est un raisonnement erroné et d’une naïveté qui frôle la bêtise.

La seule affirmation possible dans ce cas de figure est la suivante : "puisqu’il ne me trompe pas, c’est qu’il est capable de faire ce à quoi il s’est engagé, même s’il ne me désire plus ou qu’il n’éprouve plus le moindre sentiment pour moi, conclusion --> je ne peux affirmer qu'il m'aime sur ce seul indice mais je sais qu'il respecte sa parole"


3 - La fidélité est-elle alors une preuve d'amour ?

Amour, sexe (désir) et fidélité, s'ils cohabitent très bien et se complètent parfois, ne sont pas de la même famille, n'ont pas les mêmes racines et ne procèdent pas des mêmes ressorts. Faire des amalgames, des corrélations entre eux est hasardeux, voire trompeur et en tirer des conclusions hâtives l'est plus encore.

- L'amour repose sur des sentiments (et non sur un contrat ou une envie, car on ne désire pas être amoureux, on l'est ou pas.)
- Le sexe repose sur le désir et l'attraction (pas obligatoirement sur les sentiments et encore moins sur une décision morale)
- La fidélité ou à proprement parlé, l'exclusivité sexuelle repose sur un engagement (et non sur un sentiment ou le désir)

Qui plus est, un engagement peut être respecté en dehors de toute considération amoureuse. Par exemple, je n'ai pas besoin d'être amoureux de mon banquier pour respecter mon engagement de lui rendre une somme dont il m'a fait crédit. Le fait que je respecte ma parole en lui rendant cet argent ne peut en rien prouver que je suis amoureux de lui. En quoi respecter mon engagement d'exclusivité sexuelle, serait-il plus une preuve d'amour que lorsque je respecte un engagement d'une autre nature ? En rien !

(notons au passage que dans le cas d'un couple, par extension et inversement, cet engagement peut aussi être rompu alors que l'amour existe encore.)

La fidélité sexuelle (feinte ou réelle) n'est donc pas une preuve d'amour, et la capacité à respecter cet engagement n'a pas obligatoirement quelque chose à voir avec les sentiments. Le présupposé : "si on est fidèle c'est qu'on aime l'autre et si on ne l'est pas (fidèle) c'est qu'on n'aime pas vraiment l'autre" ne tient donc clairement pas la route.



III - QU'EST-CE QUE LA FIDÉLITÉ SEXUELLE EN RÉALITÉ ?

La fidélité sexuelle est un engagement qu'on prend en réalité en dehors de toute considération amoureuse, ou, tout du moins, qui n'implique que la morale et non l'amour même si au moment où on prend cet engagement on peut être amoureux et sincère (c'est justement à cause de cette concomitance qu'on fait les mauvais raccourcis et qu'on mélange "fidélité" avec "amour").

Demander à quelqu'un de s'engager à ne désirer sexuellement que son partenaire revient à demander à cette personne de renoncer à sa liberté de pouvoir changer d'avis sans se trahir, en d'autres termes, à renoncer sa liberté de penser.

Car changer d'avis (en l'occurrence "de personne", si on se met un jour à éprouver du désir sexuel pour un autre que son conjoint) tout en restant fidèle à sa parole impliquerait de risquer de l'être (fidèle) sans la moindre sincérité.

Mais quelle valeur peut bien avoir une promesse faite dans le passé et qui est tenue sans sincérité dans l'avenir ? On n'est pas fidèle aux valeurs ou aux idées que nous défendons parce que nous nous y sommes engagés un jour mais bien parce que ces valeurs et ces idées représentent toujours quelque chose pour nous dans le présent, qu'elles sont toujours dignes qu'on les suive.

En ce sens, demeurer sexuellement fidèle à quelqu’un alors que, dans le même temps on peut éprouver du désir pour d’autres personnes (sans forcément passer à l'acte) n’est rien d’autre que de l'hypocrisie, un manque flagrant de sincérité envers l'autre mais avant tout envers soi-même.

Le plus important n'est-il pas de suivre un chemin en cohérence avec ce que l'on est, ce que l'on pense, ce que l'on ressent ? Si jamais j'adhère un parti extrémiste sous le coup d'une colère passagère et que finalement, je me rends compte plus tard grâce au recul et la réflexion que c'était une erreur, que je regrette mon adhésion et que je me désolidarise du parti et des idées extrémistes que je m'étais engagé à défendre, je pourrai être jugé comme infidèle à mon engagement par les autres membres, mais en réalité en quittant ce parti qui n'est plus en adéquation avec mes nouvelles valeurs, je suis, bien au contraire, fidèle à moi-même. Cela aurait été justement en restant fidèle à mon parti que je me serai trahi moi-même et aurait été infidèle.

C'est ici qu'on met au jour le conflit, la contradiction qui existe entre "fidélité" et "liberté"

Pour en revenir à la fidélité sexuelle, qui peut affirmer sans se tromper qu'il n'éprouvera jamais d'attirance sexuelle pour autre une personne ?
Comment s'engager à être sexuellement fidèle à quelqu'un sans renoncer à sa liberté de s'être trompé ou de changer d'avis ?

"Je t’aimerai toujours" est une phrase qui ne repose que sur une supposition, pas sur une fait intangible. "Je te serai fidèle" veut idéalement dire "tu seras éternellement l’unique objet de mon désir physique" et c'est aussi une promesse basée sur l’envie sincère du moment (ou la contrainte morale/religieuse) mais en rien sur une réalité immuable. Ces mots n'ont aucune valeur sinon celle de les avoir peut-être pensés au moment où ils ont été prononcés.

Faire ces promesses là, c’est tôt ou tard, au pire, risquer de trahir sa parole en cas de défaillance et au mieux, se faire violence pour ne pas la trahir. Mais dans le fond cela revient au même comme l’écrivait très justement le Duc de la Rochefoucault (1613-1680) : "La violence qu'on se fait pour demeurer fidèles à ceux qu'on aime ne vaut guère mieux qu'une infidélité."

Qu'y a t il de plus important en amour que la sincérité ? Et pourtant, lorsqu'on y réfléchit bien, on comprend que l'engagement de fidélité n'est qu'une merveilleuse machine à tuer la sincérité.
Exiger de l'autre ou de soi-même de telles promesses revient à s'enchaîner ou à l'enchaîner au risque de se trahir et de trahir l'autre par la même tôt ou tard.

Cela n'a aucun sens en amour d'attendre de l'autre qu'il renonce à sa liberté de penser, liberté de choix, liberté de se tromper. Si c'est ça l'amour alors il faudrait songer à revoir la copie.


IV - QUE DEVRAIT ÊTRE LA FIDÉLITÉ ?

La fidélité en amour devrait selon moi rejoindre la seule définition de la fidélité : sincérité et loyauté.
Elle ne devrait rien avoir à faire avec la question du sexe mais uniquement avec la question du coeur.

S'engager oui, mais pas sur n'importe quel terrain. S'engager sur le terrain du coeur est déjà une belle chose et bien heureux ceux qui parviennent à tenir ces engagements, mais sur le terrain du désir physique, quand on sait à quel point nos désirs peuvent être décorrelés de nos sentiments, c'est une belle idiotie.

Personnellement, je pense qu'on ne devrait jamais exiger de son partenaire qu'il prenne envers soi un tel engagement.

Pourquoi ?

Tout d'abord parce que la confiance est la plus indispensable et précieuse des valeurs dans une relation (voir le billet suivant intitulé : Existe-t-il un amour garanti sans risque ? Question de confiance). Que lorsque cette confiance est brisée, en général, rien ne pourra jamais plus être comme avant, même si on a pardonné. Pourquoi alors exiger de l'autre qu'il se mette en position de pouvoir briser cette confiance ? S'il n'y est pas contraint, s'il ne s'engage à rien, il ne risque pas de trahir l'engagement qu'il n'aura jamais pris. C'est une Lapalissade mais elle porte beaucoup plus de sens qu'elle n'en a l'air. L'idée de la tromperie et de la trahison repose par essence sur le fait qu'une règle à laquelle on avait implicitement ou explicitement promis de se conformer, a été violée. Rien ne justifie plus la mise ne place de cette règle, puisque la suivre ne prouve pas que l'autre vous aime mais juste qu'il est discipliné. Et dire que contraindre l'autre à la fidélité sexuelle a pour raison de "le tenir", c'est confiner l'amour à la possession, à la séquestration. Ça n'est pas de l'amour.

Ensuite, il me semble que si son partenaire est sexuellement fidèle cela doit d'abord être sa décision et non notre exigence. De plus, si jamais son conjoint se laisse aller à une "aventure", ajouter la culpabilité de son côté à la confiance brisée du notre n'aidera certainement pas à renforcer les liens affectifs qui nous unissent. Paradoxalement, lorsqu'on nous laisse toute liberté de faire ce qu'on sent, de penser ce qu'on veut, d'assumer nos choix, nous délaissons le plus souvent cette liberté de notre propre chef. Dans le cas contraire, outre le besoin légitime de liberté, il y a toujours la tentation de braver l'interdit, c'est dans la nature humaine.
Jamais à mon sens, relation amoureuse ne devrait rimer avec "obligation","devoir", "sacrifice" mais toujours avec "envie", "plaisir", "désir". Retenir l'autre par la force et l'interdit n'a aucune valeur. Victoire à la Pirrhus, d'une relation qui finira par coûter très chère.

Je tiens à préciser que mes idées sur cette question ne sont absolument pas un éloge du modèle libertin même si je pense qu'un libertinage bien encadré possède des vertus évidentes (mais cela fera certainement l'objet d'un prochain billet). Ne pas contraindre l'autre à renoncer à sa liberté ne veut pas dire le pousser à s'en servir pour faire n'importe quoi. En revanche, lui faire confiance sans demander de promesses en retour (pléonasme) est une vraie preuve d'amour.



V - CONCLUSION

La fidélité sexuelle peut prouver beaucoup de choses mais certainement pas que l’autre vous aime (cela ne prouve pas le contraire non plus). Elle n’a jamais pas été conçue pour cela au départ et ne remplira pas plus cette fonction à l’arrivée, quoi qu’en pensent la majorité des femmes (et sans doute aussi des hommes).

C'est à mon humble avis une notion archaïque et un bon moyen de parvenir à ce qui peut arriver de pire à un couple : finir par se trahir soi-même et/ou trahir l’autre. En d'autres termes faire voler en éclat la confiance

Elle repose sur un système de valeurs qui est aux antipodes de l’amour : Contrainte, devoir, obligation, possessivité, exclusivité, abdication de la liberté.

Être fidèle, comme détaillé au précédent chapitre, c’est avant tout être fidèle à soi-même, ne pas mentir à l’autre certes mais surtout ne pas se mentir à soi-même. Pouvoir accorder sa confiance et recevoir celle de l’autre en échange sans avoir à faire des promesses basées sur un idéal, c'est à dire, sur du vent. Accepter nos différences et pouvoir se reposer sur l’autre malgré le fait évident que chacun évolue à son rythme et dans un sens qui n'est pas forcément synchrone avec celui de l'autre.

Il ne faut pas que la fidélité conjugale repose sur des serments en contradiction avec les composantes même de l’amour (qui sont d'ailleurs aussi celles de l'amitié) à savoir le désir, l’envie, la liberté, la confiance, l'honnêteté, la sincérité et l’affection.

Etymologiquement fidélité est synonyme de loyauté, de sincérité, en pratique, la fidélité conjugale a toutes les chances de faire déboucher la relation à l'exact opposé; se mentir à soi-même pour ne pas tromper l'autre ou tromper l'autre pour ne pas se mentir à soi-même.

C'est un concept qui alimente les mécanismes pervers d'une vaste illusion. Il nous donne l'illusion que l'autre est lié par ses sentiments alors qu'en réalité il n'est lié que par son engagement. Qui plus est, il ne s'agit même pas d'un engagement volontaire mais un engagement implicite inéluctable à la quasi totalité des unions, voire carrément obligatoire dans le mariage où, par conséquent, le choix et libre arbitre de celui qui y consent malgré lui n'a pas sa place. "Il est fidèle donc il m'aime", très pratique et extrêmement confortable pour ne pas avoir à se poser de question sur la réalité de l'état d'une relation et garder les "yeux grands fermés" (Eyes Wide Shut). L'institutionnalisation de la politique de l'autruche en quelque sorte.

Pour conclure je dirai que bien loin d'une vertu et malgré le fait qu'elle soit définie comme telle au point de devenir le critère "number one" recherché par les femmes (et sans doute pas mal d'hommes aussi), la fidélité sexuelle est certainement une des plus grandes escroquerie de l’amour, une belle hypocrisie moderne, mais finalement ça n'est guère étonnant car comme disait Molière à travers Don Juan (acte V, scène II) ; L’hypocrisie est un vice à la mode et tous les vices à la mode passent pour vertus. Pourquoi la fidélité ferait-elle exception ?