C'est à la suite d'un débat assez houleux à propos des thèses que je défends dans ce blog, échange que je vous narrerai brièvement un peu plus tard, que je me suis interrogé au sujet de l'ouverture d'esprit.

- Qu'est et que n'est pas l'ouverture d'esprit ?
- En quoi et pourquoi bon nombre d'entre-nous sont-ils tout simplement inconscients de leur étroitesse d'esprit ?
- Pourquoi est-il parfois si compliqué, douloureux voire, pour certains, impossible de remettre en cause leurs convictions ?
- Peut-on se fier à notre seule expérience pour asseoir nos connaissances et forger nos opinions ?
- Que cela peut-il nous apporter d'être plus ouvert, quel bénéfice concret y a-t-il à en retirer et, dans le cadre d'un débat d'idées, comment repérer nos oeillères et parvenir à nous en libérer?
- Enfin, pourquoi l'ouverture d'esprit est-elle indispensable dans certains domaines et en particulier dans celui des relations amoureuses et de la sexualité ?

Au sortir de ma réflexion, les enjeux m'ont semblé beaucoup plus importants qu'ils n'y paraissaient au départ, suffisamment importants en tous cas pour que je décide de vous livrer le fruit de cette méditation.

Placées dans le contexte des relations amoureuses et de la sexualité, il me semble que les questions auxquelles je vais tenter de répondre aujourd'hui et ce qu'elles impliquent est bien plus fondamental qu'on ne l'imagine de prime abord, vous en jugerez à l'issue de votre lecture.

Avertissement : Ce billet sera un peu plus long qu'à l'accoutumée car je suis obligé de survoler pas mal de concepts tant psychologiques que philosophiques. J'aurai pu être plus concis au risque d'une moins grande clarté pour les personnes qui ne sont pas familières avec ces disciplines mais, cherchant toujours à soumettre mes réflexions au plus grand nombre, comme à mon habitude je préfère développer, expliquer, ponctuer de nombreux exemples quitte à être parfois redondant. C'est un choix volontaire et non une maladresse. Je prie par avance ceux que cela gênerait dans leur lecture de m'en excuser.



I - QU'EST-CE QUE L'OUVERTURE D'ESPRIT ?


Avant d'attaquer tout sujet et particulièrement celui qui nous occupe aujourd'hui, il est essentiel de commencer par définir précisément ce qu'il est et n'est pas. D'autant que, pour avoir posé la question autour de moi, en ce qui concerne l'ouverture d'esprit, il semble que la confusion soit générale et chacun y va de sa définition.

C'est pour cette raison que je vais entamer ce chapitre par quelques opinions/idées reçues qu'on entend fréquemment et auxquelles je vais prendre un malin plaisir à tordre le cou, à la suite de quoi je dégagerai une définition qui me semble plus judicieuse.


A - Opinions répandues


1 - Ouverture

- Certains pensent qu'être ouvert est la capacité à adopter tous les points de vue, donc de tenir pour vrai toute chose et son contraire : "Je suis très ouvert puisque je pense que les sciences formelles ont autant de poids que les sciences occultes."

- d'autres diront que c'est une conduite tendant à rejoindre toujours les positions les plus insolites ou minoritaires sur tous les sujets : "Je suis très ouvert puisque, contrairement à la majorité, je crois en l'existence des anges, la présence des ovnis, les bienfaits des médecines parallèles."

- d'autres encore soutiendront que l'ouverture d'esprit s'exprime par l'acceptation et la tolérance à tous les points de vue, y compris et en particulier ceux qui sont en contradiction avec leurs propres convictions : "Je suis ouvert puisque bien que catholique pratiquant j'accepte l'avortement et le mariage gay, bien que fervent défenseur des droits de la femme je respecte les cultures où se pratiquent l'excision et le mariage forcé, bien qu'écologiste de la première heure je comprends la nécessité de cultiver des OGM."

- d'autres affirmeront qu'être ouvert c'est simplement être à l'écoute, n'avoir jamais rien à opposer, ni opinion tranchée, ni lourdes convictions, ni principes. C'est être perméable à toutes les idées et apte à se laisser facilement convaincre : "Je suis ouvert puisque je n'ai pas vraiment d'avis, ni grandes certitudes et suis toujours prêt à adopter ceux de mes interlocuteurs sans jamais les contredire."

- d'autres enfin argueront tels des philosophes antiques, que pour être ouvert il faut placer le doute et la remise en question permanente au dessus de tout : "Je suis ouvert sur toutes choses puisque je ne suis sûr de rien. Je pense que ni moi, ni personne ne détient la vérité, toutes les convictions sont à la fois vraies et fausses, il n'y a aucun argument moins ou plus valable qu'un autre donc personne n'a tort ou raison."

2 - Fermeture

À contrario, sont parfois considérés comme obtus et bornés :

- ceux qui ne sont tout simplement pas d'accord avec nous : "Tu es fermé puisque cela fait deux heures que je t'explique que certains mollusques peuvent parler et que tu continues à dire que c'est impossible."

- ceux qui sont incapables de prendre en compte un avis différent du leur, bien que celui-ci ne soit soutenu par aucun argument : "Tu es borné puisque tu maintiens, sans en démordre, que la politique du gouvernement sur les questions de l'emploi est mauvaise alors que moi j'ai l'intuition au contraire qu'elle est excellente (mais je n'ai rien d'autre que mon intuition)."

- ceux qui restent sur leurs positions et rejettent la critique (bien qu'elle soit injustifiée) : "Tu es obtus puisque tu n'acceptes pas d'avoir peut-être tort quand tu affirmes que la terre tourne autour du soleil (si ça se trouve c'est le contraire)."

Il doit y en avoir encore pas mal d'autres de ce genre, je ne les ai pas toutes recensées mais nous voyons que ce ne sont pas les définitions qui manquent. En quoi aucune d'entre elles n'est juste ?


B - Ce que n'est pas l'ouverture d'esprit

Afin que vous compreniez mieux la définition que je vais proposer à la fin de ce chapitre, je vais tout d'abord m'attacher à vous expliquer pourquoi l'ouverture d'esprit ou son absence ne correspond à aucune des définitions que j'ai énoncées plus haut, vous démontrer brièvement pourquoi être ouvert n'implique ni d'être perméable à tout, ni faible, ni lâche, ni influençable, ni pathologiquement sceptique, ni anticonformiste primaire.

1 - Perméabilité / Crédulité / Naïveté

"Jusqu'à preuve du contraire, je ne crois pas (enfin plus depuis un bon moment) en l'existence du Père Noël. Suis-je fermé d'esprit ?"

Si être ouvert d'esprit voulait dire "être perméable à toutes idées, opinions, croyances, quelles qu'elles soient et sans aucun discernement" cela reviendrait à accepter tout et n'importe quoi, quelles que soient les preuves ou les arguments qui étayent ces idées, voire même l'absence de preuve ou d'arguments.

Pour paraphraser Edmond Rostand qui écrivit au siècle dernier; "Avoir l'esprit ouvert ne signifie pas l'avoir béant à toutes les sottises", je dirais qu'être d'accord avec tout et tout le monde, croire n'importe qui et n'importe quoi n'est certainement pas une preuve de sagesse mais plutôt de bêtise et d'absence de sens critique.

2 - Faiblesse

"Je suis à la fois pour et contre la démocratie et pour et contre la tyrannie. Suis-je ouvert d'esprit ?"

Si être ouvert d'esprit voulait dire, "être capable d'adopter simultanément des positions contradictoires", autrement dit, n'en adopter aucune alors, les personnes ayant le moins de convictions, dénuées de tous principes et de toutes idées propres, seraient les plus ouvertes du monde.

N'avoir aucune opinion sur quoi que ce soit n'est-il pas plutôt un gage de faiblesse d'esprit que d'ouverture ?

3 - Lâcheté

"Je défends la liberté de culte et, de ce fait, suis censé m'opposer sans condition à toute ségrégation religieuse. Cependant, au nom d'une autre liberté revendiquée par mes contradicteurs (celle de l'expression), je ne condamne pas non plus des propos antisémites ou islamophobes. Suis-je quelqu'un d'ouvert ou quelqu'un de lâche ?"

Se rallier au point de vue de ses contradicteurs parce qu'on n'a pas la force, l'envie, le courage ou les arguments pour défendre nos convictions fait-il de soi pour autant un homme plein de tolérance ?

4 - Écoute passive / Suggestibilité / Consensus

"Je suis à ton écoute et bien que ce que j'entends n'ait pas forcément de sens, n'ayant moi-même pas grandes certitudes mais simplement l'envie de te laisser t'exprimer, je n'ai rien à t'opposer et après tout, pourquoi n'aurais-tu pas aussi raison ? Je suis donc toujours d'accord avec tout le monde."

Ecouter c'est bien mais si cela n'est accompagné d'aucun travail de jugement, d'aucune réflexion personnelle, recevoir fébrilement les points de vue de tout le monde ne relève-t-il pas plus de la passivité et de la paresse intellectuelle que de l'ouverture d'esprit ?

5 - Scepticisme / Doute métaphysique

"Rien n'est certain, personne ne détient la vérité, je ne crois en rien, je doute de tout, du vrai comme du faux et je remets tout en cause, tout le temps. Puisque je n'ai donc pas la moindre certitude, pas la plus petite des convictions, je me considére ouvert à tout."

Certes, seuls "Les petits esprits ne doutent jamais de rien." (Madeleine de Souvré "Maximes et pensées", 1678) et il n'y a que les idiots qui sont sûrs de tout, cependant, poussé à l'extrême tel le doute hyperbolique de Descartes ("Méditations métaphysiques", 1641), c'est-à-dire douter de tout jusqu'à la réalité même de nos existences, c'est ne se fier à aucune connaissance, aucune expérience, ne statuer sur rien. En réalité bien loin de l'ouverture d'esprit, douter à ce point c'est se fermer à toute connaissance par abolissement du jugement et c'est en quelque sorte se perdre complètement dans les profondeurs abyssales d'une pensée creuse (je doute que je doute que je doute...)

Cette conclusion est aussi celle de Descartes dans son dernier ouvrage inachevé. Il précise par l'intermédiaire d'un de ses personnages : "Je pense qu'il est très dangereux de s'avancer trop loin dans cette manière de raisonner : les doutes universels de ce genre nous conduisent droit à l'ignorance de Socrate (ndlr : je sais que je ne sais rien), ou à l'incertitude des pyrrhoniens, qui est comme une eau profonde où l'on ne peut trouver pied."
("Recherche de la Vérité par les lumières naturelles", 1684)

6 - Anti-conformisme primaire

"J'accorde du crédit à tout ce qui fait polémique, tout ce que la majorité rejette, tout ce que les preuves réfutent car être ouvert d'esprit c'est justement être capable d'accepter l'impossible ou l'improbable. Je n'ai pas vraiment d'arguments solides pour étayer mes convictions, je m'oppose même parfois à des arguments à priori irréfutables mais le simple fait de ne pas suivre la doxa (l'opinion générale) et de toujours tout remettre en question, même des faits établis, fait de moi une personne beaucoup plus ouverte que les autres."

Ne pas suivre automatiquement le troupeau est plutôt une démarche saine en soi et l'exercice du libre arbitre est une qualité, mais lorsque cela devient de l'anti-conformisme par système, que ses convictions (qui sont en l'occurrence, dans ce cas, plus des croyances qu'autre chose) ne reposent sur rien d'autre que l'opposition à la masse et aux évidences (dans le sens de - preuves-), où réside l'ouverture d'esprit ?


C - Ouverture d'esprit : Définition

Nous avons vu ce qu'elle n'est pas. Qu'est-elle alors ?

On pourrait définir brièvement l'ouverture d'esprit comme une attitude, je dirai même une aptitude, à embrasser des idées qui ne sont pas les nôtres. C'est à dire, une volonté et une capacité de considérer tous les possibles, de comparer toutes les informations, avant de se forger, de confirmer ou d'infirmer une opinion, une théorie, une idée, une conviction. Cela implique de prendre en considération tous les arguments opposés, en particulier ceux qui ne vont pas dans le sens de nos convictions, de les étudier et après avoir fait le tri entre les arguments viables (ceux qui reposent sur une preuve, une réflexion logique) et les arguments fallacieux (ceux qui ne reposent que sur des croyances, des sophismes, des preuves trop "légères", des mensonges, des approximations, des erreurs, etc...), être prêt à accueillir (ou rejeter le cas échéant) une idée, opinion, théorie, qui n'était pas la sienne auparavant. Cela implique aussi l'existence de plusieurs autres qualités/attitudes/aptitudes conjointes, telles que curiosité et flexibilité intellectuelle, tolérance, capacité d'analyse et de réflexion.

Nous comprenons bien qu'il ne s'agit donc pas de douter de tout ou d'être d'accord sur tout, de n'avoir aucune opinion ou d'en changer au gré des vents, d'accepter sans réfléchir toutes les idées qui ne sont pas les nôtres mais simplement de se montrer capable d'attention à tout nouvel éclairage que pourrait nous apporter un débat, une information, une lecture, une expérience, une observation, pour une question sur laquelle nous avions déjà une opinion (ou pas), quitte à la modifier à la lumière de nouveaux éléments si ceux-ci se révèlent plus probants que ceux sur lesquels nous avions fondés notre jugement jusqu'alors.

Démonstration par l'exemple :

Mon interlocuteur qui ne jure que par l'automobile, pense que l'avion est un des moyens de transport les plus dangereux.

Cette opinion n'est pas fondée sur son intuition ou sur quelques évènements isolés mais sur les statistiques très sérieuses du BAAA (Bureau d'Archives des Accidents d'Avions / baaa-acro.com) suivantes :
Durant l'histoire de l'aviation civile mondiale il a été recensé 22 755 crashs et 141 809 tués entre 1918 et 2015. Lorsqu'on lui demande pourquoi il rejète ce mode de transport, il s'appuie donc sur ces données fiables pour justifier son point de vue. Plus de 140 000 morts ça n'est pas rien !

Je ne partage pas son avis. En effet, pour moi, l'avion serait au contraire le moyen de transport le plus sûr. Pour tenter de l'en convaincre, j'argumente en lui opposant une statistique dont il n'avait pas connaissance; 1,3 millions de morts par an sur la route dans le monde (source asirt.org). Il y aurait donc presque 10 fois plus de décès sur la route par an que de victimes dans les airs depuis que l'aviation existe.

Il réfléchit mais ne semble toujours pas convaincu et s'en explique.

Pour lui, ce chiffre de 1.3 millions est juste mais ne démontre rien. En effet, puisqu'il y a beaucoup plus de voitures en circulation que d'avions, il semble logique qu'il y ait plus de morts sur la route. Cette seule comparaison du nombre brut de victimes route/air est certes impressionnante mais ne prouve pas pour autant que la route soit plus dangereuse que les airs.

Il a écouté avec attention mais a réfuté mon argument qui n'est pas faux en soi mais pas non plus approprié pour le rallier à ma thèse. Après avoir contre-argumenté de façon logique, il reste donc sur sa position pour l'instant. De mon côté, je prends note de sa réfutation dont je reconnais la légitimité mais cela ne change rien à mon point de vue. Ne me reste donc simplement qu'à trouver un argument plus adéquat pour étayer mon propos.

Je reviens vers lui le lendemain et modifie mon argumentation en lui livrant une nouvelle information qui tient compte de son objection de la veille. Il s'agit des chiffres comparés du nombre de morts au kilomètre parcouru pour l'auto et pour l'avion. Bilan 2000-2009 : 0,07 morts par milliard de passager/km en avion contre 7,28 par la route soit 104 fois plus de morts sur la route que dans les airs à nombre de kilomètres parcourus équivalent. (source : Department of Economics and the Transportation Center Northwestern University/2013). Après avoir contrôlé la validité de la source et de l'info, il ne peut que s'incliner, me donner raison devant cet argument et revenir sur sa conviction d'origine en se ralliant à la mienne. L'avion semble en effet 100 fois plus sûr que la voiture.

Ne pas être resté sur ses convictions, avoir écouté les arguments opposés, les avoir étudiés, réfutés pour des raisons objectives, en avoir ré-examinés d'autres et avoir été capable de reconnaître son erreur de jugement, voilà bien ce qu'est l'ouverture d'esprit.

En revanche, s'il n'avait accordé aucune validité aux arguments que je lui opposais, s'il avait réfuté en bloc les preuves que je lui apportais sans même expliquer pourquoi, borné, il serait resté bloqué sur des positions pourtant fausses.

Nous voyons bien qu'être ouvert d'esprit ne consiste pas à accepter sans broncher tout et n'importe quoi mais à asseoir ses convictions sur la base d'arguments solides, vérifiables et opposables puis être capable, le cas échéant, de revenir dessus lorsque preuve est faite qu'on s'est trompé. Cela suppose donc aussi qu'on soit prêt à écouter nos contradicteurs auxquels incombe, à eux-aussi, la charge de nous apporter les preuves de ce qu'ils avancent.

J'ouvre une parenthèse : En matière d'idées, il n'existe pas de Vérité universelle et être ouvert d'esprit veut dire aussi avoir la sagesse et l'humilité de comprendre cela. Personne ne détient donc cette Vérité absolue, pas plus vous que l'autre et c'est bien pour cela que nous nous devons toujours douter de nos certitudes et prêter une attention sincère et bienveillante aux points de vue qui ne sont pas les nôtres, même les plus atypiques.

En revanche, et ce bémol est crucial pour éviter de tomber dans ce doute métaphysique que j'évoquais un peu plus tôt et qui ne mène nulle part :

Nul ne détient la Vérité mais il n'en reste pas moins vrai que, JUSQU'A PREUVE DU CONTRAIRE, une idée, théorie, hypothèse, doit être considérée comme la plus probante, la plus "vraie" SI elle est plus compatible avec tous les faits d'observation (par ex: preuves, expériences, stats, études, témoignages, etc..) et de logique qu'une autre. Dans ce cas, il faut savoir la reconnaître comme telle, quitte à changer de position tout laissant la porte ouverte, c'est à dire, en permettant à quelqu'un, de pouvoir réfuter un jour une théorie qui était "vraie" jusqu'à présent, par la présentation de nouveaux arguments probants invalidant la précédente.



II - L'INTOLERANCE QUI S'IGNORE


Comme je le mentionnais en introduction, tout le monde se croit ouvert d'esprit mais la réalité est bien différente. Nous pouvons logiquement en déduire qu'il y a une majorité d'intolérants qui s'ignorent. Et si nous faisions parti du lot ?

Puisque nous reconnaissons tous que l'ouverture d'esprit est plutôt une vertu qu'une affliction (un défaut), il y a fort à parier que l'intolérance ne naît pas d'une volonté de fermeture mais s'impose à soi.

Je me pose alors deux séries de questions :

- De quelle façon le manque d'ouverture d'esprit se manifeste-t-il, comment le reconnaître chez soi-même ?
- Pourquoi ? Quelle est cette force qui nous pousse parfois à se fermer malgré nous, à refuser une vision du monde trop éloignée de la nôtre ?

En comprenant quand, comment et pourquoi nous nous fermons, nous pourrons peut-être parvenir à lutter contre ce travers afin de devenir véritablement plus ouvert car, nous le verrons un peu plus tard, au delà de la noble aspiration à une plus grande vertu, il y a de réels et concrets bénéfices à tirer d'une plus grande ouverture d'esprit.


A - En quoi et comment le manque d'ouverture se manifeste-t-il généralement ?

Je vais vous narrer la mésaventure dialectique très récente que j'avais évoqué en préambule et dont j'ai été l'involontaire protagoniste (ou antagoniste devrais-je dire). Celle-ci est assez éloquente. En outre, cette petite histoire trouvera certainement un écho car il est probable que pas mal d'entre-nous aient déjà connus de semblables expériences.

Il y a trois semaines, j'ai eu l'occasion de faire la connaissance de Julia, une jeune femme qui semblait intéressée par les sujets qui me tiennent à coeur, et l'ai donc naturellement incitée à visiter mon blog avant d'entamer la discussion. Pour avoir déjà un tout petit peu discuté avec elle auparavant, je savais qu'elle ne partagerait pas forcément mes thèses mais, pensant qu'elle était ouverte d'esprit et capable d'élaborer une pensée construite, cela m'intéressait d'autant plus de confronter mes convictions aux siennes et d'entendre ses arguments, que nous n'avions justement pas les mêmes (points de vue). Malheureusement je me suis heurté à un mur. Cela s'est traduit par :

- une opposition totale à toute idée qui n'était pas conforme à ses convictions;
- l'incapacité ou/et l'absence de volonté à entendre (dans le sens de comprendre) mes arguments;
- de sa part, l'absence d'argument, sinon quelques lieux communs sans rien de tangible;
- la contradiction systématique non pas motivée par la réflexion mais par son intuition, ses croyances ou sa seule expérience personnelle.

Le tout mâtiné d'une agressivité et une colère croissante, une contrariété non dissimulée et un coté "parano" où la demoiselle a fini par prendre pour une attaque personnelle et ciblée, tout ce que je disais pourtant de façon générale.

Bref, nous sommes arrivés à un point où il fallait bien se rendre à l'évidence; il était absolument impossible d'avoir le moindre échange constructif avec cette personne, peu importe par quel bout je m'y prenais. C'était l'impasse, la fermeture d'esprit lato sensu (dans son expression la plus large).

Malgré toutes mes tentatives pour assainir le dialogue, la jeune femme, visiblement très contrariée à la suite de nos échanges en cul de sac, à court d'arguments, a claqué la porte pratiquement en m'insultant lorsque j'ai eu le malheur de souligner son peu d'ouverture d'esprit, ouverture sans laquelle nous ne pouvions avancer dans la discussion. Elle a fuit en clamant haut et fort qu'elle n'avait pas d'oeillères, persuadée qu'il n'y avait pas plus ouvert d'esprit qu'elle, et pas plus inintéressant et étroit d'esprit que moi. Le monde à l'envers en somme.

Cette histoire m'a semblé assez représentative de la façon dont se manifeste en général la fermeture d'esprit et plus particulièrement chez quelqu'un persuadé d'être ouvert.

On y retrouve certaines réactions/attitudes caractéristiques :

1 - Ne pas vouloir entendre/comprendre un point de vue différent;

C'est à dire considérer d'emblée comme aberrantes, stupides, ou invraisemblables, les idées, théories, opinions de l'autre avant même d'avoir soupesé ses arguments.

Ex : Monsieur A soutient que les femmes conduisent moins bien que les hommes. Il base cette opinion sur des études récentes qui ont établi que les femmes étaient 25% plus accidentogènes sur la route que les hommes pour le même nombre de kilomètres parcourus (même si les accidents mortels demeurent aux 2/3 l'apanage des hommes) (source : stats SUVA/2013 et BPA/2013). En face de lui Madame B, outrée, ignorant totalement les arguments de Monsieur A, réagit en disant que l'opinion de A est tout simplement sexiste et qu'elle n'a donc aucune raison de débattre avec un misogyne de cette espèce.

2 - N'avoir aucun argument sérieux.

C'est le propre de la fermeture d'esprit. Pour réfuter ou affirmer quelque chose, encore faut-il pouvoir prouver en quoi cette chose est vraie ou fausse. Les personnes le moins enclines à discuter sont celles qui ont souvent le moins d'arguments sérieux, de raisonnements logiques, de preuves tangibles à proposer/opposer. Cela se manifeste de plusieurs manières possibles :

a) Généraliser à partir de sa seule expérience.

Ne défendre ou réfuter une thèse que sur la base d'arguments issus de son expérience propre et en faire une généralité. En bref, croire que ce qui semble vrai pour soi a une valeur universelle (je traiterai de l'expérience personnelle beaucoup plus en détails dans le chapitre suivant).

Ex : "J'ai suffisamment voyagé pour te dire que c'est en Asie qu'on mange la nourriture la plus saine / Je n'ai jamais connu une femme qui n'était pas intéressée par l'argent, toutes les femmes sont vénales / Les études ne servent à rien, j'ai Bac+5 et je suis au chômage / Je suis toujours un peu jalouse quand je suis amoureuse, le jalousie est donc bien une preuve d'amour."

b) Utiliser des arguments qui tiennent plus du sophisme que de la démonstration logique et de la preuve.

Il existe toute une batterie de sophismes (logique fallacieuse) et de paralogismes (erreur de logique). Bien que la rhétorique soit une discipline passionnante, une énumération exhaustive serait ici bien trop longue et sans intérêt par rapport au sujet. Cela dit, pour vous donner tout de même une petite idée, j'ai dressé une brève liste des principaux types classés par familles. Ils sont accompagnés d'exemples ad absurdo (volontairement absurdes ou caricaturaux), afin de bien mettre en avant leur caractère insignifiant et/ou illogique malgré une forme apparemment logique.

Il faut bien savoir que, quels qu'ils soient, ce sont toujours des arguments qui ne démontrent rien, ne produisent aucune connaissance fiable, qui sont donc vides de sens.

- Argumenter par le "ni vrai-ni faux"; donner des arguments que rien ni personne ne peut ni prouver ni réfuter et déclarer comme vraie une proposition parce qu'elle ne peut être démontrée comme fausse (ou l'inverse).
Ex : "Dieu existe puisque personne n'a pu prouver qu'il n'existait pas."

- Argumenter par renversement de la charge de la preuve; (variante du "ni vrai-ni faux")
Ex : "On sait que des fantômes hantent les châteaux Ecossais, si ça n'est pas vrai à toi de me prouver le contraire."

- Argumenter par la rumeur, la popularité, la nouveauté, le bénéfice financier, la coutume;
Ex : "L'Iphone 6 est le meilleur smartphone puisque tous les articles de presse le confirment, que c'est également le plus vendu; le plus moderne; celui qui a rapporté le plus d'argent à un constructeur; celui qu'on conseille partout habituellement."

- Argumenter par de faux syllogismes entretenant l'illusion d'une réflexion logique;
Ex : "Le poisson pourri sent mauvais, tu sens mauvais donc tu es un poisson pourri / Il y a statistiquement de moins en moins d'accidents d'avion et de plus en plus en plus de chômage donc la hausse du chômage est un facteur de sécurité aérienne / Tu ne crois pas en la démocratie donc tu es pour la dictature / Tous les êtres humains ont deux jambes et deux bras, les unijambistes ou les manchots ne sont donc pas vraiment des êtres humains / Toutes les voitures ont quatre roues, mon caddie de supermarché a quatre roues donc mon caddie est une voiture / Le jour de mon mal de tête il pleuvait. Le lendemain, mon mal de tête avait disparu et il faisait grand soleil, donc le rapport entre migraine et conditions météorologiques est indéniable."

- Argumenter par généralisation.
Ex : "Plusieurs personnes ont rapporté avoir été victimes de vol lors d'un voyage en Italie, les Italiens sont donc des voleurs / La moitié des gens que je connais disent que les films de Lynch sont bons, l'autre moitié pensent le contraire donc 50% des films de Lynch sont des navets / J'ai interrogé 16 de mes connaissances féminines et 12 d'entre-elles sont toujours célibataires, donc les 3/4 des femmes sont célibataires."

A noter que face à tout ces types d'arguments, nul besoin de faire le jeu des sophistes en s'ennuyant à débattre à coups d'arguments censés. "Ce qui est affirmé sans preuve peut être nié sans preuve." (Euclide de Mégare)

c) Se battre sur le terrain des personnes et non plus des propos

- Faire valoir un point de vue non pas sur la base d'arguments mais de notre pseudo-compétence en la matière;
Ex : "Je suis quand même mieux placée que toi pour en parler puisque je suis une femme / puisque c'est mon métier / puisque j'ai tel diplôme."

- Ridiculiser l'autre en caricaturant sa thèse;
Ex : " Si l'homme descend du singe, cela voudrait dire que ma grand-mère était une guenon."

- Le discréditer personnellement pour ôter du poids à ses arguments;
Ex : "Comment quelqu'un qui n'a jamais eu d'enfant peut-il se permettre de parler d'éducation ?"

3 - Rester sur ses positions contre toute logique - Faire preuve de mauvaise foi.

C'est à dire, nier des arguments qui sont (dans l'état des connaissances) à priori irréfutables (comme des faits scientifiques, des preuves matérielles ou des réalités statistiques), non parce qu'on aurait de nouvelles preuves sérieuses à présenter qui les invalideraient (ce qui dans ce cas serait légitime) mais seulement parce qu'accepter ces arguments reviendrait à admettre la fausseté de ses propres convictions. Bien entendu, il n'y alors aucun contre-argument valable disponible puisqu'ici, plus rien ne se joue sur le terrain de la raison mais de la mauvaise foi et, les partisans de cette "méthode" n'ont souvent rien d'autre à opposer que leur intime conviction/principes/croyances/certitudes accompagnés (ou pas) d'arguments ad hoc "bidons" (inventés pour l'occasion).

Ex : Aux XVIème et XVIIème siècles, Copernic puis Galilée (Aristarque bien avant eux) soutiennent que ça n'est pas le soleil qui tourne autour de la terre mais l'inverse (héliocentrisme). Bien que la majorité de leur pairs (les autres scientifiques) valident cette hypothèse, la toute puissante église de l'époque ne peut se résoudre à entériner une théorie qui contredit les saintes écritures. L'argument qu'oppose alors le haut clergé n'est que théologique (religieux) et ne repose donc sur rien de tangible : dans le Livre de Josué qui fait partie de la Bible, Josué ordonne au Soleil et à la lune de s'arrêter, cela prouve donc bien que le soleil, tout comme la lune ne peuvent pas être fixes.

"Josué [...] dit en présence d'Israël : Soleil, arrête-toi sur Gabaon, Et toi, lune, sur la vallée d'Ajalon! Et le soleil s'arrêta, et la lune suspendit sa course. [...] Le soleil s'arrêta au milieu du ciel, Et ne se hâta point de se coucher, presque tout un jour..." (Josué 10:12 et 10:13)

Galilée évitera le bucher en se rétractant publiquement en 1633 mais finira tout de même ses jours assigné à résidence. Copernic sera censuré et un de leur contemporain, Giordano Bruno, qui soutint aussi cette thèse fût non seulement censuré mais carrément brûlé vif à Rome.

4 - Parano.

Attitude qui se retrouve très fréquemment chez un contradicteur qui, à court d'arguments, se voit poussé dans ses retranchements. Il va prendre pour une attaque personnelle ce qui n'est en définitive qu'une attaque de ses propos.

Ex : "Tu es en train de me dire que la transmission de pensée ne fonctionne pas (parce qu'elle n'a jamais été scientifiquement prouvée) alors que moi je te soutiens le contraire, en gros, tu es en train de me traiter d'imbécile !"

5 - Perdre son contrôle / agressivité / colère / insultes.

La suite logique est souvent la perte de contrôle lorsque le débat débouche sur une impasse et que la violence reste le dernier recours (des faibles). On s'attaque alors à tout sauf au sujet qui devrait nous occuper. On attaque alors surtout personnellement son contradicteur et non plus ses arguments.

Ex : "Bien sûr toi tu as la science infuse, monsieur je sais tout ! Les gens comme toi me dégoutent et ça se croit ouvert d'esprit ! Tu es qui pour me donner des leçons de morale, grand con ? (et je reste poli)."

6 - Ne trouver d'issue que dans la fuite.

Combien de fois n'a-t-on pas été témoins de départs précipités sur les plateaux de télévision à l'occasion de débats passionnés, notamment politiques. Ultime stade d'une joute verbale qui ne mène à rien, partir en claquant la porte.


B - Pourquoi sommes nous parfois-souvent-toujours fermés ?

Pourquoi certaines personnes s'accrochent-elles, parfois contre toute logique, à leurs convictions, pourquoi résistent-elles à une information qui démontre pourtant que ce qu'elles pensent/croient est erroné ? Qu'est-ce qui explique des réactions parfois si violentes ?

Un seul et unique sentiment est à mon sens responsable de cette fermeture d'esprit : la peur

- Elle n'a qu'une origine : la dissonance cognitive;
- elle n'a qu'un but comme toutes les peurs (voir mon billet "Vaincre la peur de souffrir") : la préservation de notre intégrité (en l'occurrence ici, celle de notre équilibre psychologique);
- mais elle revêt plusieurs formes : Peur d'une fracture de l'égo, peur de l'inconnu, peur de la différence, peur de devoir changer, peur d'être rejeté, désarmé, humilié, vulnérable, impuissant, perdu, etc..

1 - La dissonance cognitive et ses conséquences

Voilà une notion clé qui mériterait qu'on lui consacrât un chapitre entier tant elle me semble importante pour comprendre ce qui pousse certains à se fermer comme des huîtres avec plus ou moins de violence.

En tant qu'humains, nous avons tous des convictions et des croyances, une certaine vision des choses et du monde. Cette vision est bien souvent fondée sur notre culture, notre éducation, notre milieu plutôt que sur une véritable réflexion personnelle poussée (malheureusement) ou de véritables connaissances. De fait, ces convictions peuvent s'avérer erronées et finir par se heurter un jour ou l'autre aux murs de la réalité.

Lorsque nous sommes exposés à des données qui contredisent nos croyances parce qu'elles entrent en conflit avec notre vision des choses, l'anxiété qui résulte de cette confrontation d'informations inconciliables avec nos convictions est qualifiée de dissonance cognitive (terme et théorie popularisée par le psychosociologue américain Léon Festinger dans les années 50).

Laissez-moi illustrer et compléter cette définition par un petit dialogue de mon cru reprenant les mésaventures de Galilée, Copernic et consoeurs.

- "J'ai toujours pensé que la terre était le centre de l'univers et, par conséquent, que le soleil tournait autour de la terre. Tous les scientifiques jusqu'ici le confirment, tous mes contemporains partagent ma conviction, l'église elle-même et la bible l'attestent. Aujourd'hui, toi Galilée, tu affirmes avoir la preuve du contraire (tension psychologique). Ce que tu dis est rigoureusement IMPOSSIBLE ! (réaction)"

Le moyen le plus raisonnable de réduire cette tension psychologique est d'accepter de regarder avec un esprit ouvert les faits nouveaux qui sont en conflit avec nos positions, de les analyser, les comparer avec les faits contradictoires et de porter un jugement éclairé sur la situation, quitte à revenir sur notre opinion de départ c'est à dire, adopter un autre point de vue. C'est bien d'ouverture d'esprit qu'il s'agit.

- "Malgré mon scepticisme de départ, j'ai écouté les témoignages de scientifiques qui approuvent cette théorie nouvelle, j'ai lu des rapports, je me suis penché sur les calculs, etc... Peu de doutes subsistent quand au bienfondé de ta découverte. J'admets que je me suis complètement trompé et te donne raison."

Restauration de la cohérence entre ce qui est (la réalité) et ce que je pense désormais (ma croyance) --> Fin du stress

Si la dissonance, l'anxiété, le stress n'est pas réduit en modifiant sa propre croyance, d'autres mécanismes cognitifs (de raisonnement, de jugement) prennent alors le dessus pour tenter de maintenir ou de restaurer la cohérence entre ce que nous venons d'apprendre et ce que nous croyions. Cela peut être simplement une mis-perception (perception erronée) ou mauvaise interprétation de cette information "non cohérente", mais aussi sa réfutation, son rejet pur et simple par le déni, la mauvaise foi, la tentative - contre toute logique - de se convaincre du contraire, ou tout simplement en cherchant des personnes partageant les mêmes croyances pour nous rassurer et nous soutenir dans nôtre illusion.

A chaque fois que quelqu'un exprime implicitement ou explicitement qu'il refuserait de croire à tel ou tel fait, preuve, information, on peut être certains que lorsque ces faits, preuves ou informations surviendront, il leur sera rigoureusement impossible de le supporter, parce qu'en trop grand conflit avec leur propre point de vue. Le déni (refus de réalité) protège les gens de ce type de stress et d'anxiété.

Lors d'une trop grande déstabilisation, la réaction qu'auront certains sera donc de nier les faits présentés et de s'accrocher à leur point de vue, refusant tout simplement d'accorder le moindre crédit à des arguments, des preuves qu'ils craindraient être véridiques (mauvaise foi).

- "Je t'affirme que le soleil ne bouge pas, c'est la terre qui est en mouvement.
- Je ne peux pas croire à ce que tu dis ! Il ne peut s'agir que d'une erreur.
- Je ne suis pas le seul à le penser, d'autres scientifiques ont consigné les mêmes observations et sont parvenus aux mêmes conclusions.
- Alors ça ne peut être qu'un coup monté, tout le monde sait que le soleil se meut et que la terre est fixe.
- Tous les calculs concordent avec nos observations.
- C'est forcément un complot, la terre ne peut pas bouger, ç'est impensable.
- Et pourtant, elle tourne..."

Plus on (les psychosociologues) observe les différents cas de dissonance cognitive, plus on s'aperçoit que le sentiment commun à tous est la peur. Les gens ont peur d'être ostracisés s'ils adoptent une autre croyance, peur d'être mis à l'écart de leur communauté, d'être considérés comme des parias, ils ont peur que cela chamboule leur vie, peur de la confusion mentale, peur d'une atteinte à leur équilibre psychologique, ils ont peur de se sentir impuissant et vulnérable, ils ont peur d'être incapable de gérer les émotions qui en résulteront. C'est une sorte de secousse sismique psychique.

On pourrait résumer comme suit les pensées inconscientes qui se bousculent alors dans l'esprit du contradicteur :

- "Ça ne peut pas être vrai, il ne faut pas que ce soit vrai car si la terre n'était vraiment pas le centre de l'univers, cela voudrait dire alors que je me trompe sur tout, que la bible est une imposture, que l'église trouve ses fondements dans un mensonge, que Dieu lui-même ne serait peut-être aussi qu'une invention. Tous mes repères s'effondrent. Et si Dieu n'existe pas qu'en est-il du paradis, de l'enfer, du bien et du mal, de l'ordre des choses ? Qui a créé la terre, d'ou viens-je, où vais-je, qui suis-je ? En outre, si j'accepte de me rallier à cette découverte, le monde entier va se retourner contre moi, je vais être pointé du doigt, traité d'hérétique, considéré comme un paria, un pestiféré, je vais être banni, exclu. Toutes ces pensées me terrifient, je préfère les chasser, mieux vaut nier la réalité car elle m'est insupportable et je ne trouve en moi aucune ressource pour l'affronter. Je me sens complètement impuissant."

Puisque personne n'a envie de se sentir impuissant et vulnérable, devant le danger (de perdre pied) on cherche à se défendre à tous prix et contre toute logique. Quand la raison est "hors service" ce sont toujours les émotions qui finissent par prendre le dessus. La tension monte alors d'un cran et le débat bascule dans le conflit.

J'ai plus largement traité cette question du conflit l'année dernière dans mon billet "Résoudre les conflits de couple : Communication et Empathie". Je disais que ce qui caractérise le conflit par rapport à la confrontation d’idées c’est que, dans le conflit, l’échange se fait sans jamais réellement tenir compte de la position adverse, et ce, de façon hostile, voire agressive ou violente (par les mots ou les actes), en restant sur sa position dans le but d’imposer sa volonté à l’autre, persuadé d’avoir raison.

Le déni s'accompagne de colère, nous nous indignons, on se sent offensé, et face à nôtre impuissance, nôtre incapacité à se remettre en question, en dernier recours c'est au porteur de la mauvaise nouvelle que nous allons nous en prendre et sur lui que nous allons décharger cette angoissante colère qui nous submerge. Violence de mots, violence en actes, on va l'attaquer personnellement, chercher à le ridiculiser, le décrédibiliser, le faire passer pour un malade et le censurer. Il y a une expression anglo-saxonne très parlante à ce sujet : "To shoot the messenger" (tirer sur le messager).

- "En prétendant que la terre tourne autour du soleil, tu es ridicule, tu insultes mon intelligence, mes connaissances, mes croyances, tu insultes l'église, les saintes écritures, tu remets en cause l'Histoire, les principes mêmes de la création, l'existence de Dieu, de sa puissance. Tu insultes l'humanité. Qui es-tu pour juger ? Ce que tu dis est ridicule, tes preuves, tes blasphèmes ne prouvent rien d'autre que ta folie sacrilège ou ton inconscience. Soit tu te tais, tu arrêtes de répandre cette rumeur insensée, tu te rétractes, soit je vais te bâillonner, t'enfermer, t'exécuter. En tout état de cause il est hors de question que j'accorde la moindre validité à ta découverte et te laisse continuer à vomir de telles hérésies."

Il me semble y avoir ici un intéressant parallèle à établir avec le travail du deuil.

De nombreux psychologues et psychanalystes se sont penchés sur la question (Freud, Klein, Hanus) mais aux États-Unis une psychiatre aujourd'hui célèbre, le docteur Elizabeth Kübler-Ross, s'est intéressée en particulier aux comportements de malades en phase terminale et a observé puis rapporté les 5 étapes du deuil qui mènent de la prise de conscience à l'acceptation (déni, colère, marchandage, dépression, acceptation). Ce sont des états quasi identiques que l'on observe chez les sujets en proie à la dissonance cognitive dans le cadre des croyances et des convictions.

Le deuil est un processus aboutissant à l'acceptation d'une perte. Il s'applique communément à celle d'un proche (suite à un décès ou une rupture amoureuse) ou de quelque chose d'essentiel (par ex: l'espoir d'avoir un enfant en cas d'infertilité, son emploi suite à un licenciement, la drogue en cure de désintoxication, sa liberté dans le cadre d'une incarcération, etc...) et non à la disparition d'une conviction. Cependant, d'une certaine façon, abandonner d'anciennes convictions pour accepter d'en embrasser de nouvelles parce qu'en trop grand décalage avec une réalité à laquelle on refuse de croire au départ c'est être capable de faire le deuil de sa réalité. Cet abandon peut être parfois perçu comme une perte catastrophique. La dissonance cognitive agit exactement de la même façon dans les deux cas (perte d'un proche ou perte d'une réalité) et le moyen de réduire l'angoisse est lui aussi identique : dépasser le déni, la colère et parvenir à accepter la "nouvelle" réalité quand bien même s'y résoudre est douloureux.

J'aurai l'occasion de revenir plusieurs fois sur la dissonance cognitive avant ma conclusion et tâcherai de démontrer en quoi celle-ci est particulièrement susceptible de se manifester quand sont abordées des questions telles que celles traitées dans ce blog.

2 - La fracture de l'égo

S'ouvrir à des idées qui ne sont pas les siennes bouscule l'égo parce que certains ont tendance à confondre ce qu'ils pensent, ce en quoi ils croient, ce qu'ils ont appris avec ce qu'ils sont. Je m'explique :

L'homme est en recherche (plus ou moins consciente) permanente d'équilibre. Il a, entre autres, construit cet équilibre sur la base de convictions forgées de plus ou moins bonnes façons, nous l'avons déjà dit. Remettre en question ces convictions, et à fortiori revenir dessus, équivaut pour certains à remettre en question cet équilibre précaire et par extension, à une remise en cause personnelle (pas seulement celle de leurs opinions) qui va heurter leur égo.

Cela ne devrait pas être le cas car ce que nous sommes n'est pas systématiquement lié à ce que nous pensons. Qui nous sommes n'est pas forcément en corrélation avec ce que nous faisons, croyons ou disons mais dans la tête de beaucoup, ces deux choses ne sont qu'une.

Ex : Ça n'est pas parce que, mal informé (croyance erronée), j'ai cru en toute bonne foi pouvoir emprunter cet objet alors qu'en réalité (faits) je n'en avais pas le droit que cela fait pour autant de moi un voleur. Reconnaître s'être trompé dans ce cas, n'équivaut en rien à plaider coupable de vol. Ça n'est pas mon honnêteté (qui je suis) qui est à remettre en cause ici mais uniquement la conviction (ce que je pensais) à l'origine de cet involontaire larcin. Si dans la forme cela ne semble pas faire une grande différence, dans le fond la différence est notable.

En bref, la remise en cause des convictions, des modèles, de la morale, des conventions, des croyances est parfois vécue (à tort) comme une remise en question de ses propres facultés de jugement, de ses propres qualités, capacités, aptitudes. Cette remise en cause de nos croyances est d'autant plus difficile à opérer que les convictions sont profondes, les modèles immuables, les certitudes ancrées (j'y reviendrai en détails dans mon avant-dernier chapitre). Y parvenir implique de sortir de sa "zone de confort", de s'aventurer en terrain inconnu. La démarche est encore plus compliquée si les convictions d'origine ne sont pas issues d'une réflexion propre mais proviennent d'acquis, de pensées "pré-mâchées", d'idées toutes faites, d'opinions communes, de préjugés, de traditions et de coutumes.

Au final, certains s'enferment un peu plus dans leurs convictions, même erronées, quitte à persévérer dans le faux à leur détriment, plutôt que mettre leur égo de coté et reconnaître leurs erreurs de jugement pour avoir l'opportunité de les corriger.

Prendre conscience d'une erreur, la reconnaître, est un "don du ciel", pas une calamité car cela qui peut nous permettre de redresser le cap dans la bonne direction.

La personne stupide n'est jamais celle qui se trompe (Errare humanum est...) mais celle qui est incapable ou qui refuse d'admettre ses erreurs, celle qui s'entête dans le faux (...perseverare diabolicum).


3 - La peur de l'inconnu, de la nouveauté et du changement

Toujours pour des raisons de confort et d'équilibre, nous nous forgeons des repères tout au long de notre vie. Repères matériels comme notre travail, notre maison, notre lieu de vacances, notre mobilier, etc... Repères affectifs comme notre famille, nos collègues, nos amis, nos animaux de compagnie et enfin repères psychologiques, comme nos habitudes, nos petits rituels, nos goûts, nos opinions, nos valeurs et principes.

Notre besoin de repères se retrouve partout jusque dans notre vie courante. Alors que rien ne nous y oblige, on retourne plus souvent dans des endroits familiers, on fréquente plus ou moins le même cercle d'amis, on s'assoit toujours aux mêmes places, on ne déménage pas ou ne changeons pas de job spontanément tous les 3 mois pas plus que nous ne changeons d'opinions, de convictions, de religion, de bord politique, de conjoint facilement, etc...

Une fois à l'aise dans ces repères, surtout en vieillissant, tout ce qui les bouscule est perçu, par les "si peu aventuriers" que nous sommes, comme une source de stress, de danger. Cette peur de l'inconnu est aussi à l'origine de bon nombre de ségrégations (raciales, religieuses, communautaires, sexuelles, etc...).

Aborder la nouveauté, qu'elle soit matérielle ou spirituelle est un exercice auquel nous ne sommes pas tous rompus et la plupart d'entre nous ne s'y risquent vraiment que s'ils y sont forcés par les circonstances (par ex: déménagement suite à changement de situation économique ou professionnelle, nouveau conjoint après à une rupture, nouvelle voiture par vétusté de la précédente, nouveau logiciel parce que l'ancienne version est obsolète, etc...).

La nouveauté, ce qui est "hors-repères", ce qui est différent, inquiète, fait peur à beaucoup et déclenche tout d'abord le rejet (par ex: rejet de la nouvelle copine de son pote forcément moins sympa que la précédente, du nouveau voisin de palier forcément plus bruyant que l'ancien, du nouveau règlement forcément plus strict, du nouveau logiciel forcément plus compliqué, du nouveau bâtiment forcément plus moche, etc...) et puis, le plus souvent, avec le temps, ces nouveautés finissent par trouver leur place, s'intègrent à nos routines, deviennent à leur tour des repères et nous finissons même par ne plus pouvoir nous en passer. Nous sommes humains.

A ce sujet j'ai une pensée émue pour ma grand-mère dont je me rappelle la réticence lorsque mon père proposa de lui offrir une des premières télévisions avec télécommande. Ma pauvre mamie était paniquée à l'idée de devoir se servir de ce machin compliqué, pleins de boutons et ne voulait pas en entendre parler. Mon père n'en tînt pas compte et nous jetâmes tout de même son ancien poste aux ordures pour lui en offrir un bien plus moderne (avec télécommande). Quelques années plus tard, lorsqu'il fallut à nouveau remplacer la télévision, la première chose dont elle se préoccupa fût de s'assurer qu'il y eut bien une télécommande car elle n'envisageait plus depuis longtemps de quitter le confort de son vieux fauteuil pour changer de chaîne!

Seulement, il ne faut pas que notre nature craintive et "plan-plan" soit la source de nos problèmes. Se fermer complètement à la différence et s'enfermer dans nos habitudes, nos convictions est le meilleur moyen de s'enquiloser, de patauger dans l'erreur, de ne jamais évoluer.

Une des seules façons de savoir si il n'y a pas mieux ailleurs afin de s'en inspirer pour améliorer nos vies sur tous les plans, c'est par évidence en se confrontant à cet "ailleurs", à cette différence et non en la rejetant d'emblée.

En ce qui concerne les opinions et les idées, le raisonnement est identique. Nous reposons confortablement assis sur nos certitudes (fondées, bien plus souvent que nous le pensons, sur pas grand chose de plus que notre expérience personnelle ou des préjugés) et tout ce qui s'en éloigne trop est perçu comme dangereux. Si nous laissions simplement 2 minutes notre raison et notre jugement prendre le pas sur cet instinct si chétif, nous verrions bien que ce que nous connaissons déjà ne nous apporte jamais rien de neuf pour évoluer, que seul l'inconnu aura ce mérite et qu'il ne représente de danger que dans notre esprit. (Je reviendrai en détail là-dessus dès le prochain chapitre)

Que risque-t-on sérieusement à aborder la nouveauté en matière d'idées ? Si ces idées n'apportent rien de valable, il suffit de les laisser, mais si au contraire elles sont bonnes ou meilleures que celles que nous avions adoptées jusqu'alors, nous nous enrichissons un peu plus en les faisant nôtres.



III - POURQUOI ET COMMENT S'OUVRIR ?


L'ouverture d'esprit est une qualité, nous sommes bien d'accord, mais nous n'aspirons pas tous à devenir plus vertueux juste "pour la gloire". Alors pratiquement, concrètement, qu'a-t-on à gagner à élargir nos horizons ?

Par ailleurs, si nous parvenons à pointer nos failles sur le terrain de l'ouverture d'esprit, si nous comprenons ce qui sous-tend ces lacunes; quoi faire pour changer et devenir véritablement aussi ouvert que nous le prétendons?


A - Pourquoi être ouvert ?

Pour suivre le long cheminement de pensée qui va mener à ma réponse, repenchons-nous un peu plus en profondeur sur certains points que j'ai déjà partiellement évoqués dans les chapitres précédents, notamment les liens qui unissent évolution personnelle, apprentissage, choix et ouverture d'esprit.

1) L'acquisition de connaissances passe obligatoirement par l'apprentissage

Postulat de base : Puisque nous n'avons pas la science infuse, un savoir universel inée, le pré-requis à tout savoir passe par l'acquisition de connaissances.

Pour se forger ces connaissances nous n'avons d'autre choix que de passer par des acteurs de transmission, des vecteurs.

a) Vecteurs indirects de connaissance : Expérience et observation personnelle

Je les qualifie de vecteurs indirects en cela que par eux-mêmes ils ne nous apportent directement aucune explication, aucune connaissance. J'y reviens dans quelques instants.

La première forme d'apprentissage, celle que nous exploiterons notre vie durant, la plus immédiate, élémentaire, quotidienne, involontaire et spontanée aussi, tels des Monsieurs Jourdain (qui faisait de la prose sans le savoir dans "Le Bourgeois gentilhomme" de Molière), passe par l'expérience personnelle et l'observation. Mais celle-ci est loin de suffire pour réunir la somme des connaissances nécessaires à la résolution de toutes nos problématiques et ce, pour deux raisons :

Cela tient premièrement de la nature même de ce vecteur qui soulève deux problèmes sur lesquels la philosophie s'interroge depuis Aristote :

- D'une part l'expérience passe par nos sens et ceux-ci ne sont pas forcément fiables (j'emploi un raccourci car pour être tout à fait exact je devrais plutôt dire que c'est l'interprétation que nous faisons de ce que nos sens - organes sensoriels - nous renvoient qui n'est pas fiable et non les sens eux-mêmes mais on s'est compris).

On peut illustrer cette affirmation par l'exemple célèbre proposé par Descartes, celui du bâton qui, une fois plongé dans l'eau, paraît brisé. Nos yeux nous renvoient l'image d'une rupture alors qu'il ne s'agit en réalité que d'une illusion d'optique due à la réfraction. L'expérience est par essence subjective. Ce que je vois et ressens n'est pas forcément le reflet de la réalité mais plus encore, n'est même pas forcément identique à ce que l'autre voit et ressent (par ex: la couleur pour un daltonien, l'odeur pour un enrhumé, les sensations tactiles après une anesthésie locale, etc...). D'une seule et même réalité, comment alors déterminer si c'est la mienne ou celle de l'autre qui est la bonne ? (Pour être exhaustif sur la question je devrais logiquement aborder aussi la notion de "réalité" mais pour le coup on s'éloignerait vraiment trop du sujet).

Nous pouvons même aller plus loin en disant que ce que nous ne percevons pas avec nos sens n'est pas non plus la preuve de la non-existence d'une réalité. Si c'était le cas (sans des outils qui supplantent nos sens) nous ne connaitrions toujours pas l'existence; ni du spectre électromagnétique au delà du visible (par ex: rayons X, ultraviolets, infrarouges, ondes radios); ni du spectre sonore au delà des limites de l'audible (par ex: ultrasons, infrasons); ni de l'infiniment petit (par ex: bactéries, microbes, atomes, virus); ni de l'infiniment grand et tant d'autres choses encore qui existent bel et bien. Nous pouvons donc légitimement douter de ce que nos sens nous donnent à percevoir pour juger de la réalité.

- D'autre part l'expérience/l'observation par elle-même n'explique rien, ne dispense aucun savoir.

Ex : Je constate que la pomme tombe quand je la lâche, je sens la brûlure du feu sur ma peau, j'éprouve de la fatigue après l'effort, j'entends claquer le tonnerre après l'éclair, je m'aperçois que mes relations amoureuses sont catastrophiques.

Voilà autant d'exemples d'expériences qui ne nous livrent aucune connaissance.

Me faire larguer par ma copine ne m'éclairera pas plus sur la raison de cette rupture que de voir une pomme tomber ne m'éclairera sur la raison de sa chute. Le fait de savoir qu'une pomme tombe quand je la lâche n'est pas un savoir en soi mais seulement la perception d'un phénomène (dont on peut toujours douter de la réalité, pensez aux mirages). En revanche, la loi de l'attraction universelle de Newton notoirement issue de cette observation est bien un savoir. La loi explique pourquoi cette pomme et tous les corps chutent (ou s'attirent) en établissant le lien entre Gravité, masse et distance des corps.

À la jonction entre expérience et savoir il y a obligatoirement le jugement, la réflexion, la pensée.

C'est cette réflexion qui peut palier la subjectivité de nos perceptions, et permettre d'interpréter de façon plus juste ce que nos sens nous donnent à voir/sentir/entendre, d'émettre des hypothèses, trouver une explication aux phénomènes observés pour accoucher de connaissances fiables le cas échéant.

Seulement voilà, nous ne sommes pas tous des Newtons! Nous sommes mêmes très loin d'être tous aussi habiles/aptes/compétents à juger, à expliquer, à distiller de nos expériences de véritables connaissances, familièrement "tirer les leçons". Par ailleurs, quand bien même nous pensons avoir appris quelque chose d'une expérience, à moins d'une rigueur toute scientifique, il reste hasardeux de prétendre détenir une explication universelle à partir de nôtre cas unique.

L'expérience permet donc tout au plus de nous mettre sur la voie de connaissances nouvelles mais ne nous apprend rien per se (en soi).

- Deuxièmement, quand bien même nous serions doués d'un parfait jugement et parviendrions à tirer les justes connaissances de nos expériences sans jamais se tromper, le temps nous manquerait, et nous n'aurions pas assez d'une seule vie pour nous confronter, seuls, au nombre incalculable de situations qui nous permettraient de faire toutes les expériences possibles pour en extraire toutes les connaissances nécessaires.

Par conséquent si, dans une certaine mesure, sans l'expérience (plus jugement idoine) il n'y a pas de connaissance envisageable, nous ne pouvons néanmoins pas tabler sur nos seules expériences personnelles (subjectives et trop peu nombreuses) pour acquérir des connaissances véritablement fiables et complètes dans un domaine. Nous n'avons d'autre choix que d'apprendre non seulement au travers de notre expérience mais aussi et surtout de la somme bien plus importante de savoir issu du fruit de la réflexion consécutive aux expériences de ceux qui nous ont précédés et de ceux qui nous accompagnent.

C'est là qu'intervient le second type de vecteurs, les vecteurs directs où nous allons digérer du concentré de savoir et non plus devoir déduire seul et empiriquement (par la voie de l'observation et l'expérience) la connaissance.

b) Vecteurs directs de connaissance : Education, Formation, Instruction

Voilà bien l'utilité de l'éducation et des études. L'acquisition de savoir brut, de connaissances synthétiques, transmises par écrit et/ou oral tels que leçon, cours, manuel, coaching, reportage documentaire, conférence, encyclopédie, publication scientifique, etc...

Ce second type d'apprentissage ne doit pas se cantonner à la sphère éducative et scolaire car ce ne sont pas quelques années auprès de nos parents ou de nos professeurs qui nous apprendront tout de la vie. Notre éducation et une formation académique ne nous donnent que des bases dans certaines disciplines et, avec un peu de chance, la faculté et/ou l'envie d'apprendre et de réfléchir par nous-mêmes. Je vais revenir sur cette dernière remarque dans les prochains paragraphes

2) L'évolution personnelle passe par l'acquisition de connaissances nouvelles et pertinentes

Une fois des connaissances acquises (quel qu'en soit le biais), ce savoir ne peut aller que dans 3 directions :

Vers l'arrière --> En délaissant une idée, une technique, une connaissance pour en adopter une moins pertinente à sa place-->Régression.

Sur place --> En restant simplement sur nos acquis--> Stagnation.

Vers l'avant --> Par l'acquisition de connaissances nouvelles et/ou complémentaires plus pertinentes que les précédentes, les anciennes connaissances étant alors abandonnées au profit des nouvelles--> Progression.

C'est donc de la symbiose de connaissances déjà acquises et d'informations, d'observations nouvelles que nous évoluons. Toute les sciences, qu'elles soient humaines, sociales, physiques, naturelles le démontrent : L'évolution ne naît que de la diversité, du mélange, de la mixité.

Sur un plan matériel les observations concordent :

- Le jaune avec le jaune ne donnera jamais rien que du jaune, mais du mélange avec le bleu naît une nouvelle couleur, ce vert qui n'est, ni du jaune, ni du bleu.

- Chacun de nous est le produit unique de la rencontre de deux cellules aux codes génétiques distincts, celui de nos deux parents.

- A une bien plus large échelle, tout ce qui vit sur notre planète, animaux comme végétaux, est le produit d'une évolution résultant du croisement et de la sélection naturelles d'espèces sur des millions d'années. Ne conservant que les meilleurs, les plus aptes à survivre et délaissant les plus faibles, les moins utiles, les moins viables.

Sur le plan du savoir, c'est rigoureusement la même chose :

Tout commence par la collecte de connaissances mais l'unique moyen d'évoluer passe par notre capacité à les compléter/modifier/remplacer ensuite par d'autres plus valables qui nous étaient jusque là inconnues (nouveauté). Cela implique de se confronter à ce qui est différent de ce que nous connaissions déjà (par ex: nouvelles expériences, hypothèses, études, lectures, débats, voyages, cultures, etc..) nous permettant d'affiner notre savoir vers le plus juste.

Le langage, les cultures, l'art, la philosophie, les sciences et techniques d'aujourd'hui ne sont eux aussi que le résultat de multiples croisements de pratiques, d'observations, d'expériences, de théories, d'idées qui jalonnent l'histoire, du paléolithique à nos jours et de ce processus évolutionniste consistant à transmettre et modifier en délaissant les moins valides au profit des plus cohérents. C'est par ce biais que nous sommes progressivement passés de la barbarie à la civilisation et du silex à la conquête de l'espace en 1,4 millions d'années. C'est pour cela que nous ne pensons plus que la terre est plate, que la foudre est une manifestation de la colère des Dieux, que l'esclavage est légitime, qu'il faut brûler les sorcières ou pratiquer une saignée pour faire tomber la fièvre, etc... Et nous ne sommes pas au bout du chemin, le progrès est loin de s'achever, nos connaissances étant elles-mêmes loin d'être optimales.

Savoir, nouvelles connaissances et évolution sont intimement liés.

Ignorance, imperméabilité intellectuelle et stagnation (voire régression) le sont tout autant.

Le pré-requis au savoir est l'acquisition de connaissances, le facteur déterminant et indispensable pour évoluer au plan de ce savoir est l'acquisition de connaissances nouvelles (plus pertinentes).

C'est ici qu'interviennent des vecteurs de connaissance intermédiaires tels que la curiosité intellectuelle et l'ouverture d'esprit. Pour être plus précis, ce ne sont pas à proprement parlé des vecteurs de connaissance, puisque ce sont des attitude / états d'esprit mais ils nous permettent de recueillir ou d'accueillir de nouvelles connaissances qui ne sont pas uniquement fondées sur cette seule expérience personnelle (dont nous savons toutes les limites) et sur l'apprentissage éducatif et scolaire (trop limité dans le temps).

Nous allons chercher toute nouvelle information nous-mêmes à l'extérieur ou tout du moins nous restons prêt à la recevoir si elle se présente, même et surtout si elle entre en conflit avec nos précédentes convictions, et ce, non plus par nécessité mais, par volonté de : corriger, affiner, compléter, ré-ajuster nos connaissances et par extension, nos convictions, notre façon de penser et d'agir, autrement dit, afin de : Progresser/Évoluer comme nous venons de le voir.

3) De nos connaissances dépendent nos choix

Précision sémantique : Le mot "choix" prête facilement à confusion car, selon le contexte, il peut désigner tant le processus qui mène à la décision ("j'ai le choix entre la tarte et le macaron"), que le résultat de ce processus ("j'ai porté mon choix sur le macaron")

Afin d'éviter cette confusion lors de mes explications, lorsque je parlerai de choix comme processus/action (choix entre ceci et cela) le mot sera suivi de (P) et lorsqu'il s'agira du choix comme résultat/décision (mon choix est) le mot "choix" sera suivi d'un (R).

a) Il n'y a choix(P) qu'en présence d'alternative

On ne peut pas choisir entre une chose et rien. Cela peut sembler une évidence mais il faut la souligner. Nous ne pouvons parler de choix(P) que lorsque nous avons au moins une alternative.

Cela suppose donc que nous ayons connaissance de l'existence de plusieurs possibles pour que nous puissions poser un choix(R). Si nos connaissances sont trop restreintes, que nous n'avons pas idée d'une meilleure alternative (choix possible), même si nous sommes conscients que les options qui s'offrent à nous ne sont pas les meilleures, nous n'avons, in fine (en fin de compte), d'autre solution que de nous résoudre à adopter la moins mauvaise.

Ex : "Je dois repeindre un long mur mais n'ai pas grande expérience en peinture. Je ne connais que le pinceau fin et le pinceau large. Je n'ai donc le choix(P) qu'entre ces deux outils. Je me rends bien compte que même avec le plus large des pinceaux je vais mettre un temps fou à repeindre ce mur mais n'ayant pas connaissance d'autres alternatives, mon choix(R) se portera dévidence sur le pinceau le plus large."

Si j'avais eu connaissance de l'existence d'autres outils tels que le rouleau et le pistolet à peinture, j'aurais alors disposé d'un éventail d'alternatives deux fois plus important. Cela ne veut pas dire que j'aurais forcément choisi la meilleure solution (elle ne dépend pas de ma connaissance en l'existence des outils mais de ma connaissance de la meilleure technique à employer) mais au moins, cette possibilité aurait eu le mérite d'exister.

b) Tous nos choix(R) tendent vers un but

Chacun de nos actes raisonnés reposent toujours sur des choix(R) conscients et volontaires plus ou moins avisés. L'ensemble de ces choix(R) tend vers un but qui est lui-même aussi la conséquence d'un choix(R) ou d'une obligation dans certains cas.

OBJECTIF : Me rendre à telle adresse (plutôt que telle autre).
CHOIX(P) : Y aller en voiture plutôt qu'à pied, partir à 15h plutôt qu'à 18h, emprunter l'autoroute plutôt que la départementale, etc...

OBJECTIF : Etre heureux (plutôt que riche).
CHOIX(P) : Privilégier la réussite familiale et sociale plutôt que professionnelle, un travail en équipe plutôt qu'en indépendant, l'union plutôt que le célibat, la communication dans le couple plutôt que le mutisme, les sorties entre amis plutôt qu'en tête-à-tête, etc...

OBJECTIF : Livrer un travail (plutôt que de partir en vacances)
CHOIX(P) : utiliser tel matériau, tel outil, telle méthode plutôt qu'une autre, planifier la tâche sur 7 jours plutôt que 3, faire appel au fournisseur A plutôt que le B, etc...

Nos actes et les choix(R) qui les conditionnent ne sont pratiquement jamais le fruit du hasard mais sont élaborés sur la base de nos connaissances (ou, à défaut de connaissances, de nos croyances) à l'égard du domaine auxquelles elles s'appliquent.

Par exemple pour la route, c'est ma connaissance du trafic aux heures de pointe qui détermine mon choix(R) de partir à 15h plutôt qu'à 18. Pour le bonheur, la croyance dans certains idéaux, la connaissance de mes désirs et des moyens de les combler, pour le travail, ma connaissance de la technique et de l'environnement, etc..

C'est donc bien de l'acquis de connaissances que dépendent nos choix (P & R).

4) La pertinence de nos choix(R) détermine le résultat

Si nos connaissances ne sont pas suffisantes ou adéquates, nos choix(R) seront erronés, les actes qui en découlent seront inutiles et les objectifs que nous poursuivons ne seront pas atteints. C'est l'échec.

OBJECTIF : Etre à un rendez-vous à 18h30.
CONNAISSANCE (mauvaise) : du trafic.
CHOIX (P) : partir à 17h00 ou à 18h00
mauvais CHOIX (R) : départ 18h00
Résultat --> ECHEC : RV manqué avec une heure de retard à cause des embouteillages.

La seule façon de palier cet écueil est notre capacité à évoluer : prendre conscience d'une lacune (souvent consécutif à un échec, mais il peut en être autrement heurseusement) et acquérir une nouvelle connaissance ou remplacer une connaissance erronée par une connaissance plus pertinente nous permettant de combler cette lacune.

OUVERTURE : par expérience ou sur des conseils je prends conscience de mon erreur et change ma stratégie en intégrant une nouvelle donnée (connaissance); l'état du trafic aux heures de pointe

OBJECTIF : être à un rendez-vous à 18h30.
CONNAISSANCE (nouvelle et pertinente) : trafic dense entre 17h30 et 19h00.
CHOIX (P) : partir à 17h00 ou à 18h00
Bon CHOIX(R) : départ 17h00
Résultat --> RÉUSSITE : RV honoré avec 30mn d'avance grâce aux embouteillages évités.

5) Synthèse

- Sachant d'une part que tout savoir passe par l'acquisition de connaissances et que toute connaissance passe par l'expérience et l'étude;

- sachant d'autre part que ces vecteurs de savoir ne suffisent pas à nous donner des connaissances optimales et pertinentes dans tous les domaines;
la seule façon d'évoluer est d'opérer des mises à jour tout au long de nôtre vie en les complétant, modifiant, remplaçant par de nouvelles connaissances.

- sachant enfin que c'est de la pertinence de nos choix dont dépend notre réussite et que nos choix, positions, convictions ne sont fondés que sur ces acquis ;

on peut en conclure logiquement que, se fermer à toute connaissance nouvelle en ne se cantonnant qu'à un savoir essentiellement constitué de nos connaissances de base et notre expérience personnelle c'est non seulement prendre le risque d'adopter des positions erronées (choix et convictions) par manque de connaissances plus pertinentes mais aussi de stagner (dans ses erreurs et ses connaissances) et par conséquent de courir droit à l'échec.

En revanche, observer une démarche où :
- nous allons par nous-mêmes "à la pêche" aux connaissances dès que nous en avons l'opportunité (Curiosité intellectuelle);
- ne rejetons pas d'emblée toutes connaissances nouvelles y compris et en particulier celles qui semblent en contradiction avec nos convictions et notre expérience personnelle (Ouverture d'esprit, Tolérance);
- nous éprouvons, mesurons avec bienveillance la pertinence des arguments qui sous-tendent ces nouvelles connaissances (Bon sens, réflexion, analyse);
- et les substituons aux précédentes le cas échéant. (Flexibilité);
c'est augmenter les chances d'être de plus en plus aptes, compétents, avisés dans nos choix et actes, et par là même, non seulement de parvenir à atteindre nos buts mais aussi d'évoluer.

En cela, quel que soit le domaine, on peut considérer l'ouverture d'esprit comme une des composantes essentielles de la réussite et de l'évolution personnelle.


B - Comment réellement s'ouvrir ?

Bien entendu, pour répondre à cela, on peut appliquer des conseils de bon-sens : s'informer, lire, voyager, changer nos routines, ne pas toujours fréquenter les mêmes personnes, les mêmes lieux, etc, etc.. Vous trouverez certainement, sur le net ou dans des livres, des "trucs" sur le sujet mais cela reste la plupart de temps des conseils assez généraux et à vrai dire plutôt vagues.

Si, dans le second chapitre, je me suis penché sur les réactions habituelles des intolérants qui s'ignorent c'est avant tout parce qu'en les mettant au jour nous devrions être plus à même de les identifier pour mieux les contrer.

Ainsi, nous allons déterminer très concrètement quoi faire pour essayer de conserver un esprit ouvert. Je ne vais cantonner mon analyse et mes suggestions qu'au cadre particulier d'un débat d'idées mais ce que je vais écrire peut s'appliquer à bien d'autres situations.

1) L'état d'esprit / L'attitude

Nous avons vu que l'égo était un des ennemis de l'esprit ouvert. C'est pourquoi il est crucial d'aborder tout débat en séparant bien ce qui est dit de qui le dit. Garder en tête la différence qui existe entre ce que nous disons et ce que nous sommes tant est si bien que nous serons à même de mettre cet égo de côté et dépassionner ainsi le débat lorsque quelqu'un s'oppose à nos idées.

a) Dépassionner le débat

Si l'autre attaque mes idées, il ne m'attaque pas moi. Même s'il sous-entend que mon point de vue est idiot, ça n'est pas pour autant qu'il me considère moi-même comme stupide (jusqu'à preuve du contraire). S'il remet en cause la valeur de mes arguments cela ne veut pas dire qu'il remet en cause ma crédibilité. Je dois en tout temps m'abstenir de me sentir personnellement visé et/ou critiqué lorsque je ne suis pas moi-même l'objet du débat.

Mettez-vous dans la peau de l'avocat défendant un prévenu. Ce dernier est accusé de meurtre. Vous parlez en son nom parce qu'il ne peut se défendre seul et lorsque le procureur vous assène, droit dans les yeux, "ce crime est monstrueux, c'est ignoble", vous savez bien que ce n'est pas à vous qu'il s'adresse mais à votre client. Vous n'avez pas nommément été traité de monstre et vous n'avez donc aucune raison de vous énerver, de vous sentir visé.

C'est exactement la même chose lorsqu'il s'agit de nos opinions. Je suis l'avocat, le défenseur de mes idées, je ne suis pas mes idées. Il n'y a rien de personnel dans la critique, inutile de déraper et de se sentir visé, blessé, de laisser les émotions prendre le dessus. A moins d'une attaque directe et explicite contre votre personne, ce sont toujours vos convictions qui sont sur la sellette, jamais vous.

J'ajouterai par ailleurs, que cette attitude est à adopter à chaque fois qu'on critique quelque chose qui vient de vous mais qui n'est pas vous. Pour ma part, moi qui suis un créatif, je passe mon temps à exposer mon travail et par là même, à le soumettre à la critique. Le plus souvent elle est positive et complaisante mais il arrive parfois (et c'est normal) qu'un public "n'accroche pas". Ces personnes ont plus ou moins de tact et j'ai déjà entendu des "c'est vraiment kitch" ou encore "franchement je trouve ça sans intérêt". Que ces critiques soient argumentées ou non, croyez-vous que cela provoque en moi la moindre émotion ? Absolument aucune. Au contraire, je suis curieux de comprendre en quoi mon travail a déplu. Ceux qui me critiquent n'ont jamais dit "tu es nul" mais simplement, plus ou moins adroitement, qu'elles n'aimaient pas telle ou telle oeuvre. Pourquoi me sentirais-je attaqué personnellement ? Chacun a le droit de ne pas apprécier ce que l'on fait ou ce que l'on dit et de le manifester. Cela n'enlève rien à nos qualités intrinsèques.

b) Conserver son self-control

Du premier point découle naturellement le second. Tant que vous n'êtes pas attaqué personnellement de façon formelle, il n'y a aucune raison de s'énerver.

Perdre son self-control dans ces conditions est assez symptomatique d'une défaillance de votre raison fasse à une réalité, une "vérité" inacceptable (dissonance cognitive) et j'y reviendrai une dernière fois dans le prochain chapitre.

Rien ne peut donc raisonnablement justifier de se mettre en colère parce que quelqu'un ne fait que critiquer vos positions. Si vous jugez qu'en face de vous votre interlocuteur fait preuve de mauvaise foi, que ses arguments ne sont simplement pas convaincants, libre à vous de clore le débat mais dans le calme et la sérénité.

La violence verbale, à fortiori la violence physique ou la fuite ne sont évidemment pas des solutions. Non seulement cela ne fera pas avancer le débat, mais vous ne ferez qu'afficher alors votre faiblesse et perdez automatiquement toute crédibilité car passion et raison n'ont jamais fait bon ménage.

2) Le débat en lui-même

a) Ne pas camper sur ses certitudes

Comme nous l'avons vu, il ne s'agit pas de "changer d'avis comme de chemise" ou de '"baisser sa culotte" pour être ouvert mais simplement de garder toujours à l'esprit qu'il existe peut-être un point de vue différent aussi valable que le nôtre (ou plus valable) et qu'il faut simplement laisser la chance, l'opportunité à l'autre de pouvoir le défendre. Si ses arguments ont le moindre poids, quand bien même ils ébranlent vos théories et convictions, il faut les recevoir, les considérer et savoir remettre en cause les siennes propres. C'est une opportunité pour vous d'évoluer et non pas un déshonneur ou un affront. Avoir tort n'est pas une preuve de bêtise, avoir toujours raison (dans le sens de - refuser l'évidence) l'est.

Et je répète, quitte à être redondant, que nous avons le droit, et même le devoir de refuser toute idée qui n'est soutenue par rien ou rien de solide, rejeter toute information qui n'est pas étayée par des preuves et/ou un raisonnement logique. Ne pas cautionner des idées lancées dans le vide n'est en rien de l'intolérance ou de la fermeture d'esprit. Quand notre contradicteur à des arguments valables, si nous ne sommes pas d'accord, à nous d'expliquer en quoi les arguments adverses ne sont convaincants et d'opposer des arguments plus solides, les nôtres (si nous en avons). Contre-argumenter n'est pas un signe d'étroitesse d'esprit, bien au contraire.

b) Ne pas mettre sa seule expérience en avant

En quoi le fait d'avoir été brûlé par le feu (expérience personnelle) est-il un argument valable pour postuler que le feu brûle ? Qu'il m'ait brûlé n'est pas une preuve en soi que le feu brûle tout le monde. Tout ce que je peux raisonnablement affirmer c'est que le feu m'a brûlé moi. Cela n'oblige donc en rien mon interlocuteur à valider ma thèse si je n'ai que cela pour l'étayer.

En fait, cela ne sera que lorsque je serai parvenu à trouver "le pourquoi du comment" et à le démontrer, à élaborer une thèse plus générale (avec preuves à l'appui) sur la fragilité de l'épiderme face à la chaleur d'une flamme par exemple, que j'aurai un argument de poids face à quelqu'un qui prétendrait que ça n'est pas parce que le feu m'a brûlé moi qu'il le brûlerai lui.

Comme je l'ai écris plus haut, pour faire valoir une opinion, notre seule expérience n'est en rien représentative, ou pour être plus mesuré disons, en pas grand chose. Comme je l'écrivais aussi, une expérience ne prouve ni n'explique rien par elle-même.

C'est strictement la même chose pour ce qui est de l'intime conviction. Ça n'est pas parce que l'on croit "dur comme fer" à quelque chose que cela prouve quoi que ce soit, que cela octroi la moindre validité à cette croyance (et le fait que cette croyance puisse être partagée par le nombre n'y change rien).

Quoi de plus confortable que de parler de sa petite personne, sa petite expérience et ses grandes convictions mais ça n'est jamais un argument de poids, surtout si vous vous trouvez face à quelqu'un ayant assis les bases de sa réflexion sur des éléments de preuve tangibles, des infos vérifiables, quantifiables, des raisonnements logiques. Vous, votre expérience et vos croyances n'auront aucune chance de s'imposer. D'autant moins de chance qu'il y a toutes les raisons de penser que vous vous trompez.

En effet, puisque l'expérience personnelle par elle-même n'est ni représentative, ni "explicative", si tout votre système de pensée, de réflexion, de jugement ne se fonde que sur votre expérience, il y a de grandes chances pour que pas mal de vos convictions soient erronées. C'est exactement la même chose si elles sont fondées sur des lieux communs, la doctrine populaire, le consensus, la coutume, la religion, en d'autres mots, tout ce qui ne relève pas d'une pensée propre mais d'une sorte d'héritage adopté tel quel, sans réflexion personnelle préalable, où jamais le pourquoi n'est mis en avant. Les "on sait bien que", les "pas de fumée sans feu", les "tout le monde le dit", les "c'est comme ça depuis des siècles", les "j'ai toujours appris que ", les "personne ne le ferait si", etc, etc... n'ont aucune valeur.

c) Ne pas perdre pied.

Evitez la mauvaise foi.

Si vous n'avez pas d'arguments solides ou que ceux-ci se révèlent fragiles face à ceux de vos interlocuteurs, ne glissez pas sur la pente savonneuse de la mauvaise foi seulement pour ne pas avoir tort (égo, égo, quand tu nous tiens). Si vous êtes vraiment certains de ce que vous affirmez et ne pouvez l'établir, mettez le débat en pause et prenez le temps d'aller chercher les preuves qui vous manquent avant de poursuivre plutôt que de vous entêter dans le vide ou de vous enfoncer. Si vous ne trouvez rien de probant, c'est peut-être tout bonnement que vous avez tort. Sachez alors vous remettre en question. Si jamais votre interlocuteur a raison, vous avez tout à gagner à vous rallier à son point de vue.

Sachez reconnaître dans vos arguments ceux qui relèvent plus de la mauvaise foi, du paralogisme, du sophisme, de la croyance aveugle ou populaire, que de la réflexion saine.

Le "ça n'est pas parce que tu as raison que j'ai forcément tort" et tout ce qui s'en rapproche sont aussi de faux arguments qui ne font avancer un débat en aucune façon et ne démontrent qu'une seule chose : vous n'avez absolument rien de concret à proposer pour défendre votre point de vue, ce qui met en cause sa validité.

d) Repérer et annihiler nos résistances

Ne sous-estimez pas la puissance de la dissonance cognitive. "Il n'y a pire sourd que celui qui ne veut pas entendre et pire aveugle que celui qui ne veut pas voir". Cette expression populaire illustre bien ce que nous observons lors de la dissonance cognitive. Il y a des "vérités" que nous ne voulons pas entendre, des vérités qui blessent. Il est essentiel de repérer les symptômes de ces blocages afin de pouvoir s'y opposer et les combattre (symptômes et résistances) pour conserver un esprit ouvert. Ne pas se laisser aveugler par la peur que peut engendrer chez nous la distorsion entre ce que nous voulons croire et ce qui est.

Il y a des exemples édifiants dans l'histoire et parmi eux, l'incrédulité générale devant des témoignages qui dénonçaient l'impossible, l'inimaginable, l'horreur absolue à savoir, le génocide planifié par Hitler et dont on sait pourtant aujourd'hui qu'il a bien existé.

"Pendant la seconde guerre mondiale les exemples sont nombreux de sources dignes de foi qui ont fait connaître, en Europe occupée et à l'extérieur, l'assassinat systématique des juifs déportés vers l'Est. Mais la vérité est inacceptable quelle que soit l'hostilité à l'égard des nazis. [...] l'immense majorité des contemporains de la Shoah n'a pu se résoudre à la concevoir, à l'imaginer, même si les informations venues de Pologne étaient concordantes.

Tous les rescapés racontent comment, même après leurs premières heures dans l'enfer d'Auschwitz, il leur fallut du temps pour se résoudre à croire les prisonniers plus anciens qui, montrant les cheminées, leur expliquaient que c'était par là qu'étaient passés les membres de leur famille, leurs compagnons de voyage montés dans des camions à l'arrivée.
"
(Claude Dumond "La Shoah, notre société en question" - Institut coopératif de l'École Moderne 2008)

"L'histoire de deux échappés d'Auschwitz arrivés jusqu'à Nice est particulièrement édifiante.
Dans son livre "La Résistance Juive en France 1940-1944", Anny Latour raconte deux événements qui, s'ils ne nous surprennent plus aujourd'hui, parurent en 1943 extravagants.

Deux hommes Haïm Salomon et Honig, échappés d'Auschwitz, parviennent au Comité Dubouchage (ndlr : comité Niçois d'aide aux réfugiés juifs). Honig raconte l'enfer d'Auschwitz. On le croit fou et on le fait passer avec sa famille en Suisse. Quant à Haïm Salomon, [...] c'est la secrétaire de Donati, Germaine Meyer, qui retranscrit son récit. Tous le croient fou lui aussi. Quelques semaines plus tard Germaine Meyer connaîtra l'enfer nazi.
"
(Madeleine Kahn "De l'oasis italienne au lieu des crimes allemands" Editions Bénévent 2003)

Alors comment lutter contre nos résistances ?

Il n'y a qu'une façon de faire face à un ennemi qui se camoufle, débusquer sa cachette.

Nous ne pouvons lutter contre nos résistance qu'en les repérant et il y a des indices qui peuvent nous mettre sur leur piste si nous y sommes attentifs.

Par exemple, à chaque fois que vous entendez une information, un point de vue, une théorie qui vous étonne, vous interpelle, vous choque au point que que vous pensiez : "non c'est n'importe quoi", "je ne peux pas le croire", dès que votre réaction immédiate est "épidermique", vous fait sortir de vos gonds, fait naître de la colère en vous, que vous vous opposez farouchement et quasi instinctivement à une idée, une théorie, une autre croyance, il y a de grandes chances que vous soyez victime de dissonance cognitive.

A ce moment là posez-vous deux questions :

Question 1 : Pourquoi ma réaction est-elle si vive ?

Cherchez pourquoi cette nouvelle info, opinion, théorie déclenche chez vous une telle résistance, une aussi farouche opposition. Est-ce parce qu'elle ne tient objectivement pas debout du fait que les arguments qu'on vous présente sont réellement non probants ou plutôt parce qu'au fond, ce qu'ils impliquent (à vous de vérifier qu'ils sont exacts) est bien trop incompatible avec votre propre vision des choses, donc intolérable, inacceptable, pour que vous puissiez même songer à les prendre en considération ?

Question 2 : Sur quoi repose mon propre point de vue ?

Sont-ce des études, une réflexion poussée, des preuves ou bien juste une intuition, un postulat, un préjugé, votre intime conviction, votre maigre expérience personnelle ?

Si les réponses à ces deux questions sont les secondes, peu de doutes subsistent, la dissonance cognitive fait son oeuvre et vous devez absolument faire un effort conscient et volontaire pour dépasser l'instinct, la peur, faire jouer la raison et ouvrir votre esprit à ces nouveaux éléments.



IV - L'OUVERTURE D'ESPRIT EST-ELLE VRAIMENT INDISPENSABLE ?


J'ai tenté de démontrer précédemment que l'ouverture d'esprit était une des composantes clés de la réussite mais il y a des domaines dans lesquelles elle est à mon avis plus encore que cela; une composante indispensable. Pour s'en convaincre, revenons une ultime fois sur la notion de dissonance cognitive.

Nous avons vu que la dissonances cognitive résultait d'une distorsion entre conviction et réalité. Plus ce fossé est important, plus grand sera le malaise, plus il y aura de chances que les résistances soient difficiles à faire tomber. C'est en saisissant bien les facteurs qui sont responsables de cet écart que nous sommes susceptibles de pointer les domaines dans lesquels nous nous exposons le plus à le rencontrer (cet écart) et par conséquent où nous risquons le plus de nous fermer, nous braquer, de rester sourds et aveugles si nous n'y prenons garde.


A - Les facteurs responsables de la dissonance cognitive

L'écart perçu entre une conviction de la réalité (et donc la tension qui en résulte) dépend de quatre facteurs:

1) La force de cette conviction

L'ampleur de la dissonance est d'autant plus grande que la conviction est profonde.

Si cette conviction a force de "vérité" dans notre esprit parce que :
- forgée depuis longtemps;
- issue de notre éducation, notre culture, notre religion, coutumes et traditions ("nous avons toujours cru que, toujours su que...");
- les sources d'information, de connaissances à partir desquelles s'est fondée cette conviction paraissent indubitables, incontestables (dans notre esprit tout du moins) tels que autorités parentales, éducatives, scientifiques, intellectuelles, politiques, médias, etc..;
- elle revêt un caractère universel due à une large adhésion (croyances populaires);

alors, cette conviction qui ne laisse qu'assez peu de place au doute risque d'être profondément ancrée.

2) L'importance de cette conviction

L'ampleur de la dissonance est d'autant plus grande que la conviction touche à des valeurs essentielles, fondamentales.

Je parle ici de valeurs qui sont à la fois et avant tout des besoins pour soi-même (elles peuvent par conséquent différer un peu d'un individu à l'autre). On peut citer entre autres; liberté, loyauté, ordre, fidélité, justice, fraternité, amour, respect, foi, sécurité, progrès, bonheur, humanisme, morale, famille, religion, réussite, etc...

3) La marge d'erreur qui sépare notre conviction de la réalité

Plus elle est importante, plus grande sera l'ampleur de la dissonance.

Ex : Si je crois que les civils prisonniers de guerre ne subissent aucun mauvais traitement alors qu'en réalité un faible pourcentage est maltraité, ma marge d'erreur n'est pas grande, l'anxiété sera moindre et il me sera donc moins difficile de m'ouvrir à cette information que si j'apprenais que 95% de ces innocents sont torturés et méthodiquement exterminés.

4) La proportion d'erreurs sur lesquelles reposent notre conviction erronée

Plus elles sont nombreuses, plus l'ampleur de la dissonance sera grande.

S'il nous est relativement facile d'admettre qu'on puisse se tromper sur certaines choses, admettre la possibilité de s'être trompé ou d'avoir été trompé en tout est beaucoup plus anxiogène (angoissant).

Exemple : Je pense que tel médicament est fiable parce que le laboratoire qui le fabrique bénéficie d'une bonne réputation, que les tests avant mise sur le marché sont effectués par un organisme indépendant et impartial, que les autorités sanitaires sont vigilantes et que ce médicament ne présente pas d'effets secondaires notables.

Maintenant, imaginons que de nouveaux tests démontrent que ce médicament a quelques effets secondaires. Cette information bouscule un peu ma conviction mais la distorsion avec la réalité n'est pas si importante que cela. Cela ne remet pas en cause les autres facteurs sur lesquels j'ai fondé mon opinion (l'impartialité de l'organisme qui a validé la mise sur marché ou sur le sérieux du laboratoire et des autorités sanitaires).

En revanche, je serai probablement en proie à un bien plus grand malaise si on m'affirme que non seulement le médicament a des effets secondaires indésirables mais qu'en plus de cela, le laboratoire a fabriqué ce produit dans des conditions d'hygiène désastreuses, que l'organisme chargé de valider la mise sur le marché est à la solde du laboratoire, que les autorités sanitaires ont été soudoyées pour fermer les yeux sur des pratiques illégales. La distorsion entre ma conviction et la réalité est alors bien plus importante, puisque tous les points sur lesquels je fondais cette conviction sont remis en cause.

Pour résumer nous pouvons dire que :

- plus une croyance est profonde;
- plus une conviction touche à des valeurs fondamentales;
- plus elle est éloignée de la réalité;
- plus nous nous sommes trompés sur les connaissances qui fondent cette conviction;

alors,

- Plus grand sera l'écart séparant notre croyance de la réalité;
- Plus important sera notre malaise (la dissonance);

ex-supra (conséquemment à ce qui précède),

- plus il nous sera difficile d'admettre que nous nous trompons;
- plus la passion, l'émotion risquera de supplanter la raison
- plus la croyance (aveugle) aura tendance à prendre le pas sur la réflexion pour éviter de se poser les questions (ou chercher les réponses) qui dérangent;
- plus l'effort requis pour parvenir à modifier notre point de vue devra être important;
- plus la nécessité d'être ouvert sera indispensable pour surmonter les résistances et parvenir à adopter un nouveau point de vue concordant avec la réalité.

Par logique inverse, une grande ouverture d'esprit est moins nécessaire lorsqu'il s'agit de revenir sur une conviction qui, bien que fausse, n'est pas très ancrée, pas si éloignée que cela de la réalité, ne remet pas en cause nos valeurs fondamentales et ne repose que sur peu d'éléments erronés.


B - Les domaines les plus sensibles à la dissonance cognitive

La dissonance cognitive peut naître quel que soit le domaine de conviction concerné. Cependant, elle reste d'ampleur modérée quand seuls un ou deux facteurs de dissonance entrent en jeu.

Existeraient-ils des sujets ou des domaines de conviction qui pourraient faire jouer/solliciter tous les facteurs de dissonance simultanément ? C'est-à-dire des domaines dans lesquels nos convictions sont tout à la fois, profondément ancrées, propices à une grande marge d'erreur avec la réalité, fondées sur une multitude de connaissances erronées et ne toucheraient qu'à nos valeurs fondamentales ? Des sujets/types de convictions où l'écart - entre ce que nous croyons et ce qui est - pourrait par là même s'avérer colossale ? Oui il y en a et je m'en vais vous dire lesquels et pourquoi.

Précision : on pourrait considérer la religion comme domaine "à risque". Cependant, je l'exclue d'office dans la mesure où c'est un domaine dans lequel les convictions ne peuvent reposer par essence que sur la foi et non sur des connaissances. L'acceptation de telles convictions ne repose seulement que sur la tolérance car une croyance religieuse ne se discute pas (sinon entre soi-même et soi-même) et n'est jamais à opposer à la réalité.

Il existe bien un ensemble de disciplines plus sensibles, disciplines qui nous exposent particulièrement, directement et simultanément à tous les facteurs susceptibles de générer une dissonance cognitive. Elles appartiennent aux domaines des sciences humaines, comportementales et politiques et c'est justement les deux premières qui sont concernées quand on s'intéresse aux sujets, aux questions relatives au couple, aux sentiments, aux émotions, à la communication, à la sexualité, tout simplement parce que nos convictions pour ce qui touche plus généralement à la psychologie, la philosophie, l'anthropologie, les sciences cognitives sont en général et simultanément :

- acquises au travers de notre culture, notre histoire, notre expérience personnelle, notre éducation, les moeurs de nos sociétés, la religion, etc... donc profondément ancrées en nous depuis longtemps;

- touchent à des concepts, des valeurs morales, des questions et sujets essentiels, même existentiels tels que l'amour, le bonheur, les sentiments, la confiance, la fidélité, notre place dans le couple, dans la société, ce que nous sommes, ce que nous voulons devenir, etc... donc des valeurs fondamentales;

- bien plus souvent établies sur des croyances, fondées sur notre seule expérience personnelle et quelques vagues lectures que sur un savoir académique parce que, contrairement aux sciences dures (maths, physique, chimie, biologie, informatique) ou aux sciences sociales (histoire, géographie, économie) dont nous recevons un enseignement général à l'école, nous n'avons habituellement aucune réelle formation générale en sciences humaines, comportementales, cognitives et finalement, à moins d'exercer une profession ou d'érudition dans cette branche, nos connaissances sérieuses en ces domaines sont très minces donc propices à une très grande marge d'erreur par rapport à la réalité;

- Toutes aussi propices à l'accumulation de connaissances et de raisonnements erronés pour les mêmes raisons.

Nous comprenons dès lors mieux pourquoi ce sont typiquement des sujets qui peuvent facilement "fâcher", pourquoi lorsqu'ils sont abordés sous un jour qui remet en cause nos convictions cela peut créer un véritable stress et qu'il nous soit alors beaucoup plus difficile de voir la réalité en face, d'admettre faire fausse route sur les sujets qui relèvent de ces disciplines, plus difficile d'accepter des alternatives, de revenir sur nos convictions (en réalité des croyances) lorsque quelqu'un, conjoint, ami, analyste, psychologue, sociologue, auteur, etc... pointe du doigts nos lacunes ou nos probables erreurs de jugement en nous dévoilant une réalité qui est loin de celle qu'on s'imagine. Pourquoi aussi les chances que nos convictions à ces sujets soient partiellement, voire complètement fausses.

La plupart d'entre-nous ne sont pas naturellement armés pour accepter facilement de délaisser ou même juste de remettre en cause, sur ces terrains particuliers de "l'humain", ce qui ne sont souvent que des illusions. C'est la raison pour laquelle sans ouverture d'esprit il est extrêmement difficile d'espérer évoluer dans ces disciplines tant le stress généré et les résistances levées risquent d'être importantes.

De cela je suis rendu compte au fil des années, notamment en discutant de ces sujets autour de moi et à travers les mails que certains lecteurs de ce blog m'envoient régulièrement depuis 8 ans.

Si vous êtes un peu habitués à mes écrits, vous savez que ma façon de penser et les conclusions qui découlent de mes réflexions vont très rarement dans le sens du consensus. (parce qu'idées différentes = potentialité d'évolution donc j'essaye d'éviter les clichés). Cette vision non-consensuelle des choses pousse donc toujours vers la remise en question, remise en cause de cette doxa que je condamne, des idées et convictions généralement admises par la masse et s'oppose aux modèles et concepts pré-mâchés que nous donnent pour "vérités" nos sociétés judéo-chrétiennes et les moeurs des "bien-pensants" de tous ordres.

Après avoir lu tout ce qui précède, on comprend désormais pourquoi il est très très difficile pour certains de ne pas freiner des quatre fers à la lecture de ce que j'écris. Lorsqu'on touche à des "cordes sensibles", qu'on appuie "là où ça fait mal", on égratigne, on dresse des résistances, on suscite des blocages.

S'il ne s'agissait que de convaincre de changer d'eau de toilette ou de régime alimentaire la tâche serait certainement moins ardue mais lorsqu'on touche aux sujets que je traite, on peut ébranler des convictions profondes, très ancrées, des croyances qui reposent souvent sur du sacré, du tabou et la remise en cause de ces convictions est d'autant plus compliquée que la résistance est grande, l'ouverture d'esprit d'autant plus indispensable.



V - CONCLUSION


Et c'est justement là où je veux en venir.

Nous fondons tous très tôt de grands espoirs sur le couple, l'amour, accordons tous généralement une grande importance à notre réussite sentimentale, notre épanouissement sexuel. Nous sommes très vite confrontés à ces problématiques et, pour poser nos choix, justifier nos actes, n'ayant aucun réel savoir en la matière, c'est plus ou moins à tâtons que nous progressons.

Ayant besoins de repères nous nous sentons rapidement obligés de nous raccrocher à des idéaux et des principes qui vont d'ailleurs tous dans le même sens (à défaut de thèses solides, de preuves et de connaissances fiables), qu'on a pioché un peu partout ou qui nous sont imposés sans forcément que nous en soyons conscient (par ex: poids de la religion, influence de notre éducation, exemple de nos parents, avis des uns et des autres, lectures d'articles pseudo-psychologiques de magazines de salle d'attentes, des romans de gare, sans parler des moeurs de nos sociétés, nos coutumes et tant de préjugés) et dans une plus maigre mesure dans notre réflexion propre.

Et puis, comme tout le monde, nous faisons l'expérience de l'échec et nous nous retrouvons désarmés car nous n'avons qu'une version tronquée de la réalité et n'entrevoyons aucune option. La "vraie" réalité est loin des idéaux mais le propre d'un idéal c'est qu'on s'y accroche coûte que coûte, aussi fort qu'il nous est pénible de se résoudre à admettre à quel point la réalité en est éloignée. On s'y agrippe donc, à tort, persuadés d'être dans le vrai et refusant toute alternative quand elle se présente, toute autre version possible et nous n'avançons plus (ou si peu). Nous sommes fermés mais inconscients de l'être.

Fidélité, sexualité, passion, jalousie, amour éternel, désir, connaissance de soi ... Que de sujets sensibles qui touchent à ce que nous avons de plus intime, de plus profond dans un domaine où, nos réelles compétences/connaissances sont minces, nos expériences ne sont pas suffisantes, nos convictions ne sont que croyances et la résistance que nous opposons au changement d'optique est proportionnel à l'abîme séparant nos illusions de la réalité. Il me semble donc impératif de s'ouvrir sur ces connaissances que nous n'avons pas, s'ouvrir sur une réalité qui nous échappe souvent parce qu'elle contredit tout ce qu'on croit. Cet accouchement ne se fait pas toujours sans douleur mais sans cela, en restant figés sur nos positions, nous sommes voués à répéter inlassablement nos erreurs et à stagner.

A l'aune de ces réflexions je pense donc que si l'ouverture d'esprit est toujours souhaitable quels que soient les domaines de conviction, en revanche, dans des domaines hyper-sensibles où ce sont croyances et idéaux, illusions et contes de fées qui ont la part belle, elle se révèle résolument indispensable. Je pense que nous n'avons d'autre alternative que de développer et cultiver notre ouverture d'esprit si nous voulons avoir une chance d'évoluer et de réussir à atteindre nos objectifs sur le plan des relations amoureuse et de la sexualité. Ce blog est justement là pour ça.