Partenaire sexuel unique ad vitam eternam, modèle réaliste ou fantaisiste ?
Par Mister L, dimanche 18 mai 2008 à 22:27 :: Sexualité :: #14 :: rss
Même s’il est avéré qu’un peu plus de la moitié de la planète prône la polygamie, en occident, c’est bien la monogamie qui prévaut comme modèle de couple. Monogamie instituée par une morale judéo-chrétienne qui veut qu’un même homme ne soit marié qu’à une seule femme (et vice vers ça) et par extension, ne partage son lit qu’avec cet unique partenaire jusqu’à ce que la mort les sépare. Ce modèle ancestral est-il viable, l’a-t-il seulement été un jour, assure-t-il la pérennité d’un couple, son bonheur et surtout son équilibre ? Rien n'est moins sûr.
Préambule
Dans ce billet, à l'inverse de la plupart des autres articles que j'ai écrit jusqu'à présent, je ne vais pas chercher à vous donner ma solution mais simplement à me poser la question de la viabilité d'un archétype, celui de la monogamie, tel qu'il nous est présenté (imposé serait plus exact) dans nos sociétés judéo-chrétiennes. Un modèle relationnel auquel tout le monde se soumet docilement (tout au moins la majorité) sans forcément chercher à y réfléchir pour éventuellement le remettre en cause, voir, l'ignorer. Je ferai cela en deux temps. Tout d'abord me poser la question de la viabilité des modèles en général et dans un second temps, celle d'un modèle en particulier, celui du couple monogame dans notre société.
I POURQUOI REMETTRE EN CAUSE UN MODÈLE ?
La première question que je me pose en abordant un sujet tel que celui-ci (modèle réaliste ou fantaisiste) est le problème du modèle en soi.
a) Définition et problème
Dans son acception première, un modèle est défini comme un objet ou une personne à imiter, un exemple ou un archétype.
Le gros problème des archétypes est qu’ils sont par essence universels, c’est à dire, censés valoir pour tous (sinon l’archétype ne serait pas le type suprême, le modèle à suivre). Et quand on parle de psychologie de couple, de relations amoureuses, j’ai beaucoup de mal à penser “universel” tant nous sommes différents les uns des autres, tant chaque situation est unique. J’aurai donc toujours tendance à remettre en question un modèle quand celui-ci est censé s’appliquer à régir des rapports humains.
Mais dans nos sociétés où le poids de la morale forgée par les cultes est si fort, qu’on soit croyant ou pas, la tendance est au contraire à faire une confiance quasi aveugle aux modèles, d’en faire des idéaux de vie, de chercher à s’y conformer pour être le plus “normé” possible. La tendance est à croire que pour avoir résistés aux siècles, ces modèles doivent forcément avoir une certaine valeur, receler une certaine vérité.
Que nenni, ma bonne dame. Il me semble aussi déraisonnable de penser qu’il n’y a pas de fumée sans feu que de modèles sans fond de vérité. D’ailleurs, à mon humble avis, il ne faut en général rien prendre pour argent comptant, et surtout pas les modèles (encore moins lorsque ceux-ci sont millénaires, donc en toutes probabilités : archaïques).
Sauf que s’attaquer à des modèles aussi puissants que ceux des églises, les mêmes qui régnèrent en maîtres sur le pouvoir, la justice, l’état et les sciences pendant des siècles, c’est s’attaquer à des montagnes.
Certes, on ne vous brûlera plus si vous ne respectez pas les règles édictées par ces potentats de la morale, on ne vous lapidera plus si vous ne vous conformez pas à leurs “modèles” mais on vous regardera d’un sale oeil pour le moins (je parle de l’occident parce que malheureusement, il existe encore des cultures où ces pratiques barbares sont toujours à l’honneur pour ceux qui “s’écartent du droit chemin”).
Le fait est que j’ai la remise en question facile quand on me parle de modèles et encore plus facile lorsqu'il s’agit de modèles régissant la sexualité et le couple.
b) Le modèle Monogame vu par la morale
Pour ne pas tout réfuter en bloc, je pars du principe que la monogamie est une architecture relationnelle qui me convient (sans doute encore parce que je suis né et je vis dans une culture qui ne m’a toujours proposé que ça, mais bon, je n’ai rien contre, je ne connais rien d’autre). Seul bémol, je me limiterai à la stricte définition du dictionnaire, c’est-à-dire celle de l’académie française (8ème édition).
Monogame : Celui qui n'est marié qu'à une seule femme, Celle qui n'est mariée qu'à un seul homme.
Vous noterez que la définition de nos immortels se cantonne à l’union conjugale unique, et ne mentionne pas une quelconque unicité de partenaire sexuel (à l'inverse des églises, qui elles, ne se privent pas de rappeler que la sexualité ne doit se pratiquer que dans le cadre indissoluble des sacrements du mariage). Et si conformément au texte biblique (cf. l'injonction divine : "Soyez féconds, multipliez, emplissez la terre"), les juifs, les musulmans et, à un moindre degré les chrétiens, valorisent la procréation - le sexe et le plaisir sexuel ne sont admis que s’ils s'inscrivent dans le cadre conjugal.
Pour faire court : un seul homme qui ne couchera qu’avec une seule femme depuis le jour de leur union, jusqu’au jour de leur mort.
Tel est le modèle du couple monogame vu sous le prisme de la morale, un modèle sacré mais certainement pas un sacré modèle. Que vaut-il ?
II LE MODÈLE JUDÉO-CHRÉTIEN ET LA SEXUALITÉ DANS LE COUPLE
Nous l’avons vu plus haut, le modèle de la monogamie tel qu'il est généralement défini dans les sociétés judéo-chrétiennes est :
un seul partenaire sexuel toute sa vie durant, sa femme ou son mari.
OK, pourquoi pas, mais à la lecture de cette proposition, je me pose tout naturellement la question suivante :
Peut-on désirer sexuellement le même partenaire toute sa vie ?
Et voilà que cette question me renvoie immédiatement, tel le chien de Pavlov, à mes cours de philo de terminale. Le fameux “peut-on” ! Trois acceptions selon le sens qu’on lui prête.
a) A la première acception : "avons-nous le droit de désirer sexuellement le même partenaire toute sa vie ?", la réponse ne prête pas à polémique, nous sommes dans un pays libre, on a bien évidemment le droit de n’avoir qu’un seul partenaire sexuel toute sa vie, personne ici ne risque de nous le reprocher.
b) A la deuxième acception : "avons-nous le devoir de ne désirer sexuellement qu’un(e) même partenaire toute sa vie ?", à en écouter la morale et l’église, à suivre à la lettre le modèle judéo-chrétien, ce serait effectivement un devoir. Bien sûr, ni l’église, ni la morale ne parlent de désir sexuel, mais seulement d’union sexuelle, niant ainsi l'idée même que la motivation d’un acte sexuel au quotidien est le désir, le plaisir et non la procréation. Nous devrions donc n’avoir d’envie sexuelle que pour notre mari ou notre femme, du jour de l’union conjugale au jour de la mort (mais après la mort peut-être que c’est la fête qui sait !).
Dans la réalité du couple il en est tout autrement. On n'a qu'un seul devoir en la matière, trouver son bonheur et son équilibre à deux. On ne maîtrise pas son désir sexuel. Si on en éprouve naturellement pour un même partenaire toute sa vie alors, c'est tant mieux, si ça n'est pas le cas, rien ne justifie le devoir de s'imposer la fadeur d'une vie sans sexualité épanouie.
Parce que voilà, toutes les églises et la morale du monde auront beau nier ce fameux désir sexuel, c’est encore lui qui guide nos actes sur ce terrain, et c’est là que la troisième acception de la question se pose, et je dirais même s’impose. Elle est à mon avis la seule vraie bonne question :
c) Sommes nous capables de désirer sexuellement le même partenaire toute sa vie ?
c’est là que le bas blesse parce que rien n'est moins sûr.
En effet, il suffit de regarder la fréquence des rapports sexuels dans un couple au fil des années pour constater sans aucun doute possible que, pour l’immense majorité des gens, plus le temps passe, plus le désir sexuel pour l'autre s’estompe.
Pour preuve, s'il en fallait, en mars 2007, l’Inserm, l’Ined et l’Anrs ont publié une étude intitulée “Contexte de la sexualité en France“. Cette étude effectuée entre 2004 et 2006 sur un panel de plus de 13 000 hommes et femmes de 18 à 60 ans confirme bien, entre autres, que le nombre de rapports sexuels varie en fonction de l’âge et de la durée d’existence du couple. Les personnes en couple depuis moins d’un an déclarent avoir en moyenne 12 rapports mensuels contre 8 pour les personnes qui sont en couple depuis plus de 5 ans. Alors imaginons ce que cela doit être après 20 ans de vie commune !
Maintenant, cela veut-il dire que la libido diminue avec l'âge ou que c'est juste que le désir sexuel pour son partenaire qui décroît ?
Si je prends mon cas, lorsque j’ai une copine, nous faisons l’amour à peu près 3 à 4 fois par semaine (je reste dans la moyenne). J’ai un très bon copain de mon âge, marié depuis 10 ans déjà et qui ne me cache pas grand chose de ses problèmes de couple, qui peine à 6 nuits par mois avec sa chère et tendre. Ce qui ne l’empêche d'ailleurs pas d’être toujours aussi amoureux de sa femme (ils viennent d’ailleurs d’avoir une très jolie petite fille).
Nous avons le même âge, à priori, la même “énergie” et pourtant son désir pour sa femme après 10 ans est presque 3 fois moins important que le mien avec une fille que je viendrais de rencontrer... En revanche, son désir sexuel pour d’autres femmes (même s’il a toujours été “fidèle”) existe bel et bien et il ne s'en cache pas (sauf à sa femme évidemment). Quand à elle, je ne lui ai pas posé la question mais dans la mesure où l’amour se fait à deux, si elle en avait envie plus souvent, il serait au courant. Donc je suppose que son désir à elle ne vaut guère mieux que son désir à lui. Il ne s'agit donc pas d'une baisse de libido dans l'absolu mais plutôt celle qui est orientée vers le même partenaire sur la durée.
Après cela, je doute qu’on puisse affirmer que le désir pour un même partenaire reste intact dans le temps. Il s’amenuise et je pense qu’il peut même disparaître complètement ou tout du moins devenir tellement insignifiant par rapport à sa force originelle que cela revient au même.
Et si nous réfléchissons aux mécanismes du désir, comment imaginer qu’après avoir mille fois fait le tour d’un partenaire, connu son corps par coeur, ses réactions, ses frissons, après avoir tout exploré (en 20 ans, à raison de 12 fois/mois les 5 premières années et 8 fois/mois par la suite soit plus de 2 000 rapports, ça laisse quand même le temps de bien faire connaissance... ou de se lasser), comment imaginer, disais-je, avoir autant envie de "lui sauter dessus" que lorsque son corps n'était encore qu'une contrée à explorer ?
Se lasser de l’autre n'est pas se lasser du sexe. Car entre 30 et 60 ans, femme ou homme, la libido n’est pas atrophiée, bien au contraire.
Je ne crois donc pas que nous puissions raisonnablement tabler sur le fait de désirer sexuellement le même partenaire toute sa vie avec la même force.
III MODÈLE DE COUPLE ET RÉALITÉ DU DÉSIR SONT ANTINOMIQUES
Mais alors, que vaut ce fameux modèle qui lie inexorablement la sexualité à l’union conjugale ?
Tout ce que l’on peut dire c’est qu’il ne va pas du tout dans le sens de la nature. Cette nature qui fait décroître dans le temps le désir sexuel pour un même partenaire.
a) Conséquences
A vouloir s’imposer ce modèle qui va contre nos pulsions ou plutôt l’absence de celles-ci, le couple plonge, à terme, dans l’antagonisme le plus total.
Il le place dans une situation culpabilisante. En effet, d’un côté on cherche à se conformer au modèle qui nous impose de ne désirer toujours que l’autre et d’un autre côté, nous sentons bien que l’autre ne nous attire plus comme avant malgré tout l’amour qui peut encore exister pour lui.
Pire! Nos pulsions sexuelles, toujours présentes, mais désormais plus dirigées vers ce partenaire de toujours, nous contraignent soit à renoncer à une sexualité épanouie en se forçant à accepter une situation inexorable (la perte du désir et l'abstinence), soit à enfreindre “la règle” et finalement donner libre cours à ses désirs ailleurs, mettant ainsi le couple dans une position archi-périlleuse : l’adultère. Je vous invite d'ailleurs à lire mon billet "Fidélité, grande escroquerie de l'amour ? Quelle est sa valeur ?" qui traite spécifiquement de ce sujet.
Sans parler des remords car, qui n’a pas la conscience coupable lorsqu’il cache à celui (celle) qu’il aime une double vie. Lorsqu’il rompt malgré lui, par “faiblesse”, un serment prêté des années plus tôt devant l’église et/ou la république, témoins de leur union et garants de ce modèle.
Situation d’autant plus Cornélienne que, croyant dur comme fer à ces modèles qu’on n’aura jamais remis en question, on en vient à remettre en cause l’amour qu’on a pour l’autre puisque d’après le modèle : union conjugale (amour) et désir sexuel sont et doivent demeurer indissociables. Par extension, si on en croit le modèle : si le désir disparaît c'est donc signe que l'amour n'existe plus... Balivernes !
b) Pourquoi le modèle est-il caduque ?
La réponse était déjà en germe dans le chapitre précédent. L’église nie le corps pour ne donner de valeur qu’à l’âme. L’âme se rapprochant du divin et le corps se rapprochant du malin (pêché de luxure). Alors, pour simplifier les choses, on ne considère plus les besoins de la chair mais simplement ceux de l’esprit. On ne conçoit plus le plaisir et le désir que comme des émanations de notre esprit, l'expression de notre amour et surtout pas des besoins charnels possiblement dissociables des sentiments de l'âme.
On associe à tout jamais corps et âme, sexe et amour. C’est vrai, c’est beau. Seulement voilà, nous ne sommes pas de purs esprits et ne le serons jamais. Notre corps et bel et bien là, avec ses pulsions, ses envies et même si physiologiquement, tout part du cerveau, le cerveau n’est pas l’esprit. Le cerveau reste un organe de notre corps et cet organe génère des réactions purement physiologiques, hors du champ de la conscience et de la volonté (phénomène hormonaux par exemple).
L’église, la morale ne tiennent pas compte d’une réalité peut-être moins idyllique que les contes de fées qu’ils nous assènent : Le corps est là. Tout ne tient pas au spirituel.
Tout comme l’amour à ses raisons que la raison ne connaît pas, le corps à ses besoins que l’amour ignore.
Imposer l’idée multi-séculaire que l’amour et le désir sexuel sont liés, aboutit simplement à nous mettre en face d’une équation insoluble. C’est pour cela que ce modèle est caduque.
Certains diront : nous ne sommes pas des animaux, nous pouvons parfaitement nous contraindre.
Bien sûr, il y a des personnes capables de faire entrer un cercle dans un carré. Il faut beaucoup forcer. Il y a des personnes dont les convictions sont tellement puissantes qu’ils peuvent faire preuve de la plus totale abnégation, allant jusqu’à nier les désirs, les pulsions et même la douleur. Oui mais voilà, nous ne sommes pas tous des maîtres zens capables de ralentir notre rythme cardiaque par la seule force de notre pensée, des yogis aptes à méditer calmement assis sur une planche à clous, ou des moines cloitrés entre les murs d'une abbaye.
Et si c’est ça la solution pour connaître le bonheur à deux sur le long terme, c’est une solution bâtarde (pardonnez-moi l’expression).
IV CONCLUSION
Si la monogamie est un modèle d'union acceptable, en revanche le modèle du partenaire sexuel unique ad vitam eternam me semble complètement fantaisiste et l’a toujours été, sauf que les conséquences par le passé étaient beaucoup moins graves qu’aujourd’hui.
A une époque où les femmes n’avaient d’autres choix que de subir le couple, où les hommes pouvaient faire ce qu’ils voulaient sans que les répercussions sur la structure familiale ne se manifestent (parce que les femmes n’avaient ni le droit à la parole, ni le pouvoir de quitter leur mari) ce modèle pouvait encore sembler "tenir la route" (avec moulte hypocrisie).
De nos jours et dans nos cultures où les femmes ont pratiquement acquis les mêmes droits que les hommes et surtout leur totale indépendance, les conséquences d’un modèle aussi archaïque sont catastrophiques sur le couple. Outre la culpabilité, les souffrances, la peine affective, il est une des causes majeures de déchirure des couples et de dislocation de la cellule familiale.
A mon sens, il est urgent que les couples prennent conscience de l’irréalisme de ce modèle qui va à l’encontre de la nature de l’Homme (au sens humanité) pour essayer d’en bâtir d’autres plus en adéquations avec ce que nous sommes vraiment, des êtres de chair et de sang.
Il ne s’agit pas de se résigner à accepter l’échec du couple à long terme (au contraire, les sentiments qui durent toute la vie c’est possible, amour comme amitié), mais bien à concevoir un nouveau modèle, loin des archétypes judéo-chrétiens, loin des moeurs contemporaines qui sont tout sauf modernes. Concevoir de nouveaux modèles qui prendraient en compte la dissociabilité de spirituel et du charnel, du désir affectif et du désir sexuel. Car si au départ d’une relation, sexe et amour semblent liés, l’expérience montre que ça n’est certainement pas une constante dans le temps.
Je reviens plus en profondeur sur ces sujets dans le billet traitant de la dissociabilité de l’amour et du sexe et de la recherche d'un nouveau modèle d’architecture du couple.
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COMMENTAIRES
1. Le samedi 26 juillet 2008 à 01:47, par badji
2. Le jeudi 31 juillet 2008 à 12:19, par ladislas
3. Le mercredi 26 novembre 2008 à 10:40, par voicealto
4. Le jeudi 18 novembre 2010 à 14:02, par Patrice072
5. Le vendredi 6 juillet 2012 à 14:19, par Ily
6. Le dimanche 6 octobre 2013 à 01:14, par Lucy
7. Le jeudi 18 septembre 2014 à 10:33, par Charlotte