L'amour existe-t-il d'emblée ou se construit-il ?
Par Mister L, vendredi 16 février 2007 à 17:30 :: Amour :: #3 :: rss
On dit communément que l’amour se construit (donc qu’il fait appel à une démarche raisonnée) mais on connaît tous aussi le fameux adage “l’amour a ses raisons que la raison ne connaît pas” (ne serait donc issu que d'une réaction purement pulsionnelle, hors du champs de la raison) alors raison ou passion ? volonté ou fatalité ? L'amour existe-t-il d'emblée ou se construit-il ?
Si la première assertion est vraie : “l’amour se construit”, cela sous-entend, que ça n’est pas parce qu’on n'est pas amoureux d’une personne tout de suite qu’on ne le sera jamais, ou que ça n’est pas parce qu’on est amoureux d’une personne qu’on le sera toujours. Amour comme volonté.
Si c’est la seconde qui est vraie : “l’amour ne connaît pas la raison”, cela sous entend que cela n’est pas la peine de chercher à persévérer avec une personne pour laquelle on ne ressent rien immédiatement, mais aussi, qu’il n’y a rien de conscient et raisonné à faire pour faire perdurer cet amour. En quelque sorte, il préexiste, il est au dessus de nous, il nous transcende. Amour comme fatalité.
Donc, selon notre conviction, on aboutit à deux démarches singulièrement différentes face à la perspective d’une relation.
Que penser alors ?
Je crois que tout dépend de ce qu’on appelle l’amour, et surtout du sens qu’on cherche à donner à une relation dite “amoureuse”. A mon avis, beaucoup de gens se méprennent en confondant passion et amour et mélangent les genres. C’est peut-être de cela que naît la confusion entre les deux points de vues : amour qui se construit contre amour que la raison ignore.
La passion n’est pas l’amour.
On sait très bien qu’il arrive que, sans connaître quelqu’un ou à peine, on ressente rapidement un sentiment assez fort pour cette personne. D’aucun l’appelle déjà “l’amour” mais je pense pour ma part que ce sentiment s’appelle la “passion”. Un engouement soudain pour quelque chose, engouement qui n’est pas basé sur la connaissance de cette chose mais plutôt le bien-être qu’on en retire immédiatement et la projection de ce bien-être dans l’avenir. En clair, on est dans l’immédiateté et le fantasme. Cet “amour” là fait plus appel à des pulsions qu’à notre conscience. Je ne m’étendrai pas trop sur le sujet de la passion mais celle-ci est par essence, intense et éphémère. Ça n’est donc pas de cet “amour” là dont on parle car en réalité, un feu brûlant qui vous dévore et vous consume rapidement, ça n’est pas de l’amour et même si cela peut être fort agréable le temps que ça dure, que peut-on attendre de la passion sur le long terme ? Rien.
Je dirais que la passion est la montagne russe de l’amour. Vite parti, la tête à l’envers dans une sensation grisante de vitesse, mais vite arrivé... Sauf que ça ne dure pas, et que l’arrivée est au point de départ. C’est fun, il faut le vivre une fois, mais ça n’avance à rien si on cherche de la perspective.
L’amour, le seul vrai selon moi, n’est pas un sentiment éphémère. Une relation amoureuse digne de ce nom n’est pas une étoile filante. L’amour ne s’ancre pas dans le fantasme, mais dans la réalité, l’apprentissage, et la connaissance, car l’idée d’une relation est d’embellir la réalité, pas de fuir dans un rêve qui sera plus tôt que tard rattrapé par cette réalité.
La passion ne repose clairement pas sur la raison. D’ailleurs, les symptômes de la passion n’ont rien de “raisonnables” nous le savons tous. Donc l’amour n’est pas la passion même si parfois on lui prête ce nom ou que certains les confondent. Je disserte en détails sur cette question dans le billet intitulé "Le véritable visage de la passion amoureuse", que je vous incite à lire par la suite.
On ne peut raisonnablement aimer ce qu’on ne connaît pas. On peut aimer l’image qu’une chose ou que quelqu’un vous projette sans connaître ce quelqu’un vraiment, mais cela se rapproche plus d’un phénomène comparable à celui des fans qu’à l’amour. Le fan de Mylène Farmer ou de Pascal Obispo va montrer tous les signes de la passion pour son idole, penser à lui tout le temps, afficher ses posters partout dans sa chambre, faire des heures de queue sous la pluie pour assister à un concert, sillonner le pays pour suivre toutes ses dates, lui envoyer des mots doux ou même des cadeaux, mais en réalité, que connaît le fan de la vraie personnalité de son idole ? De ce que serait la vie avec elle au quotidien ? Du bonheur et de l’attention que son idole serait capable de lui apporter, de l’amour qu’il serait en mesure de lui offrir en retour ? RIEN.
Ce sur quoi le fan fonde son “amour” est seulement l’image qu’il a de son idole, et absolument pas la personne qui se cache sous l’image du chanteur à succès. On en revient toujours à cette notion de fantasme, opposable à la notion de réalité, de passion opposable à l’amour vrai.
Je pense que la notion de passion est maintenant définie et je n’y reviendrai pas. Je ne parle maintenant plus que de l’amour qui n’est pas à mes yeux cette passion irraisonnée (pléonasme).
L’amour vrai, contrairement à la passion, n’existe pas d’emblée. L’attirance physique oui, la sympathie et un certain attachement peuvent naître au premier coup d’oeil ou en ne connaissant qu’à peine l’autre mais pas l’amour.
Cet amour là est tout autre car il repose sur la connaissance de l’autre et sur ce que son contact nous apporte, nous procure. Il repose sur des valeurs ancrées dans le quotidien avec cet autre, sur l’expérience de l’autre, des actes, des attentions, des échanges, du concret. Il n’est pas fantasmé. Il fait clairement appel à notre conscience plus qu’à des pulsions irraisonnées.
Antonin ARTAUD (1896-1948) disait “On gagne l'amour par la conscience d'abord, et par la force de l'amour après.”
Cette phrase résume bien ma pensée et ce que je vais vous exposer maintenant.
Quand Artaud parle de “Conscience d’abord” il veut dire, l’acte volontaire, conscient, raisonné. Conscience comme connaissance. Apprendre à connaître l’autre, à aimer l’autre pour ce qu’il est et non pour l’image de l’amour qu’il peut vous renvoyer. Apprendre à l’aimer pour ses imperfections aussi, pour sa réalité. Et comme toute connaissance, l’apprentissage de l’autre demande du temps et de la volonté. L’amour, s’il arrive, n’arrive pas d’emblée mais se gagne. Autrement dit, il se construit dans le temps. Il ne préexiste pas. Mais une fois que cet amour est là, fondé sur du solide, du temps, des moments, des actes, des épreuves même alors, il se nourrit de lui-même et ce moteur que l’on fait démarrer au départ grâce à la raison, peut tourner longtemps sur sa seule force (avec un bémol que j’expose ci-après).
Je reprendrais tout de même l’image du moteur car elle sert bien mon propos. La force de l’amour n’est pas non plus une constante immuable. Le mouvement perpétuel n’est pas de ce monde. Et nous voici parti dans un rappel de physique. Une voiture lancée à pleine vitesse et dont on coupe le moteur continuera à avancer un certain temps grâce à son inertie (sa force propre), mais finit par s’arrêter, tôt ou tard, à cause des frictions provoquées entre les parties, sans parler de la résistance de l’air. On le sait tous.
Pour que l’objet en mouvement s’arrête le plus tard possible il faut limiter des frictions au maximum (entre les essieux et les roues, entre les roues et la route), et diminuer au maximum la résistance avec l’air (donner un profil aérodynamique à la voiture). Et si on veut que la voiture ne s’arrête jamais il faut constamment alimenter son moteur avec du carburant.
L’amour n’a rien de différent. Une fois le moteur lancé grâce au temps de connaissance de l’autre jusqu’à la naissance du sentiment, il s’alimente pas sa force propre mais si on ne fait rien contre les frictions naturelles qui existent entre deux personnes vivant ensemble au quotidien, diminuer les résistances alors qu’on alimente pas cet amour par des actes, des mots, des moments, il finit par s’arrêter.
C'est le désir sur lequel il faut veiller en permanence et si on n'y prend pas garde, il tend à diminuer avec le temps (surtout le désir physique). Et à l’inverse d’une automobile, quand l’amour à calé, il est pratiquement impossible de faire redémarrer la machine. (je traite plus en profondeur cette question du désir dans plusieurs autres billets comme par exemple celui que j'ai intitulé "Partenaire sexuel unique ad vitam eternam, modèle réaliste ou fantaisiste ?")
L’amour se construit et s’entretient. Il doit reposer sur des fondations solides que seul le temps et le désir de construire avec l’autre peuvent permettre d’étayer. Il repose sur des éléments faisant plus appel à la raison qu’à la passion. Il peut avoir l’air moins “excitant” au départ (moins brûlant) mais au final, on passe de un à deux (et peut être à plus si ça donne des bébés). A l’arrivée, on a quelqu’un qu’on apprécie et qui vous apprécie pour ce que vous êtes, pour ce que vous faites. On a construit une relation humaine, et c’est une oeuvre en soi au-delà du plaisir que cela procure de partager sa vie avec quelqu’un qu’on aime.
CONCRETEMENT qu’est-ce que ça veut dire ?
Simplement que si quelqu’un nous plaît au départ par ce que nous en percevons, il ne suffit pas de le fréquenter le temps d’un éclair pour affirmer si oui ou non une relation est possible avec cette personne. Qu’il ne faut s’attacher à aucun sentiment, sensation, pulsion soudaine pour préjuger de la viabilité d’une relation à terme, que seul le temps et les moments passés avec l’autre peuvent permettre de créer les conditions nécessaires à développer un sentiment amoureux et qu’une passion soudaine n’est garante d’aucun avenir, pas plus qu’une rencontre sans effusion n’est le signe d’un amour impossible à terme.
Pour clore ce billet j’ajouterai, suivant mon raisonnement, que l’idée du “on est fait l’un pour l’autre” est alors caduque. Personne n’est fait pour personne, de la même façon qu’une maison n’est pas faite pour le sol sur lequel elle repose. certes il faut qu’il y ai des affinités de départ, mais ensuite tout est une question de travail.
Lorsqu’une relation avorte, se rassurer en se disant “pas grave, on ne devait pas être fait l’un pour l’autre” est très confortable, vive le fatalisme qui nous évite la remise en question, mais en fait, le problème ne vient pas du tout d’une question “d’affinités” mais plutôt de sa propre incapacité à transformer une attirance en relation construite. Avec un peu de travail, beaucoup de gens seraient “fait” pour beaucoup d’autres.
J'aborde d'ailleurs cette question de l'être unique en tant que mythe dans le billet suivant.
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